La modernité (asiatique) selon Wong Kar-wai (In The Mood For Love, 2046, Eros…) au service d'un constructeur renommé de téléviseurs. Une rencontre saisissante entre publicité, technologie et Septième Art. Impossible de se demander ce que Michelangelo Antonioni aurait pu créer.
dimanche 15 février 2009
La modernité selon Wong Kar Wai
jeudi 12 février 2009
La modernité selon Michelangelo Antonioni
Au début des années soixante, Michelangelo Antonioni propose une nouvelle esthétique sur les écrans noirs permettant à la fois approfondissement et élargissement du néo-réalisme d’une part, et une abstraction plus poussée du septième art notamment en reliant image et psychologie des personnages, d'autre part, le tout s’inscrivant dans le contexte du miracle italien et des évolutions sociales qui l’accompagnent. D’ailleurs, il serait très réducteur de ramener ses œuvres à une simple peinture sociale de la bourgeoisie italienne.
Michelangelo Antonioni est souvent présenté à tort comme le cinéaste de l’incommunicabilité ou de la crise du monde contemporain. En fait, il s’interroge plus simplement sur les relations hommes-femmes sans y répondre. Que se passe-t-il entre un homme et une femme aujourd’hui ? Ou même, que ne se passe-t-il pas ?
Aussi, son art, déconcertant à l’époque, est le support à ces interrogations. Il crée un nouveau langage cinématographique où la dramaturgie classique n’a plus cours. Le malaise inexprimé, l’opacité des sentiments, du monde, tout est confié à la puissance énigmatique de l’image. Antonioni est le cinéaste de la modernité.
Qu’est-ce que le cinéma moderne ? Dissymétrie des regards échangés, champ-contrechamp décalés, découpage de l’espace, isolement des personnages dans leur cadre respectif, mutisme de la scène, objectivation de l’humain… Le réalisateur de Ferrare pose les canons de cette modernité dans une trilogie composée de L’avventura (1960) qui a reçu le prix du jury au festival de Cannes l’année où Federico Fellini a obtenu la palme d’or pour La dolce vita, La Notte (1961) et L’eclisse (1962).
L’avventura (1960) raconte la disparition subite et incompréhensible d’Anna (Lea Massari), une jeune femme et la recherche de celle-ci par Sandro (Gabriele Ferzetti), son futur mari et Claudia (Monica Vitti), son amie. Lors des recherches, Sandro et Claudia tombent amoureux l’un de l’autre, mais la présence/absence d’Anna, qu’ils ne retrouveront pas, empêche le couple de s’aimer.
« Le seul moyen de prolonger le néo-réalisme, déclarait Antonioni après chronique d’un amour, c’est de le diriger vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur. » L’avventura est exactement la mise en œuvre de ce principe : le bouleversement de Claudia et Sandro, causé par un élément extérieur, la disparition de Anna, bascule vers l’intérieur des personnages, et devient révélateur d’un désir, d’abord inacceptable, et qui, lentement, s’impose comme une évidence vitale. Mais sitôt ce désir consommé, la tristesse revient. Car finalement, tout cela est futile, si futile, et vain, et changeant, constate Antonioni. Vanité des atermoiements qui n’en est que plus criante dans ce milieu de la haute bourgeoisie italienne des années soixante, enrichie par le progrès, blasée dans ses excès, et qui, collectivement, a perdu pied avec la réalité. « Je voudrais y voir clair, être lucide », supplie Claudia, dépassée par ce qu’elle vit.
Le film est animé d’un mouvement interne qui part d’un « problème de femme », c’est à dire, l’insatisfaction et les doutes d’Anna, sur le point d’épouser un homme apparemment équilibré. Il est traversé par la lumineuse Claudia, qui s’abandonne sincèrement à cet amour, et finit par dévoiler, en dernière partie le « problème de l’homme » : assouvir son désir n’était qu’une manière d’échapper à lui-même. Claudia séduite, Sandro se retrouve seul face à ses angoisses.
Ainsi, ni Claudia, ni Anna, ni Sandro, ne sont responsables du drame qu’ils vivent. Le drame, chacun le porte déjà en soi, à sa manière : professionnellement, Sandro est un architecte raté, qui a des regrets de ne pas avoir été plus fidèle à sa vocation. Anna est en crise avec son héritage familial (un père rigoureux, croyant, déçu par l’attitude futile de sa fille), Claudia se comporte encore en amour comme une jeune fille et ne maîtrise absolument pas sa féminité, ni l’impact qu’elle peut avoir sur les hommes (voir, à cet égard, l’extraordinaire plan où, sur la place d’un petit village sicilien, elle est subitement entourée d’hommes du village qui la regardent avant tout comme un objet sexuel.). Chacun vit donc un état de crise caractéristique du monde moderne. Ces états sont révélés par la traversée d’un paysage et d’un pays, la Sicile, symbole d’une Italie traditionnelle et immuable. A propos de l’Avventura, Antonioni constatait : « Il y a dans le monde une fracture très grave entre la science, d’un côté, toute projetée vers l’avenir, et prête à renier chaque jour ce qu’elle était la veille, si cela lui permet de conquérir même une fraction de cet avenir, et de l’autre côté, une morale, raidie, figée, et qui toutefois, elle, continue à tenir debout. Dans l’avventura, la catastrophe est une impulsion érotique bon marché, inutile, malheureuse. Car le héros -quel mot ridicule !- de mon film se rend parfaitement compte de la nature grossière de l’impulsion érotique qui s’empare de lui, de son inutilité. Mais ça ne suffit pas. Voilà un autre mythe qui tombe, cette illusion qu’il suffit de se connaître, de s’analyser minutieusement dans les plis les plus cachés de l’âme. Non, cela ne suffit pas. Chaque jour on vit l’avventura, que ce soit une aventure sentimentale, morale, idéologique. »
Ainsi, plus rien, dans l’avventura ne repose sur de l’immuable ou de l’éternel : ni les sentiments des personnages, ni le décor, soumis aux aléas de la nature et à la violence du climat, ni même une éventuelle résolution de l’intrigue. Dans ce monde-là, qui est le nôtre, l’homme navigue d’une illusion à une autre et se raccroche à son désir, seule certitude fugace. Ce film réussit à donner une image de l’homme moderne, pris dans un univers changeant, en perpétuelle évolution, et qui, par déficit de croyance, ne peut plus se raccrocher à aucune tradition morale. (Nous avons reproduit ici les propos Sarah Petit http://www.arte.tv/fr/L-Avventura-d-Antonioni/506188,CmC=506190.html )
La Notte (1961) porte un regard sur la crise d’un couple d’intellectuels, l'écrivain à succès Giovanni Pontano (Marcello Mastroianni) et sa femme Lidia (Jeanne Moreau), entrain de mourir. La notte est le titre d'une toile de Roberto Sironi, que l'on aperçoit un instant dans le film. Elle s'intercale entre une première partie constituée d'une visite à la clinique où se meure Thomaso et d'une errance dans Milan et un épilogue d'une tragique tristesse sur la fin d'un amour.
« Avec La Nuit, j'arriverai à un résultat de compromis. Le compromis que l'on retrouve, aujourd'hui, dans la morale et même dans la politique. Les personnages, cette fois-ci, se sont trouvés, mais ils ont du mal à communiquer, parce qu'ils ont découvert que la vérité est difficile, elle demande beaucoup de courage et des résolutions irréalisables dans leur milieu. » (Antonioni).
La partie centrale de "la nuit milanaise" avec sa fête organisée en l'honneur d'un cheval de course ou ses invités se jetant dans la piscine, évoque souvent La dolce vita que Fellini a réalisé deux ans plus tôt avec le même Marcello Mastroianni. Marcello, journaliste superficiel, s'y montrait incapable de lire les signes du spirituel que Fellini distribuait tout au long de son parcours. Antonioni délivre un constat tout aussi terrible sans recourir au génial bric-à-brac spirituel de Fellini.
Comme à son habitude, Antonioni oppose le monde moderne, sa formidable inventivité, sa présence manifeste, ses lignes droites et ses bruits, aux corps fatigués, malades ou hystériques, incapables d'imaginer une nouvelle aventure, une nouvelle aube à leurs parcours.
Les allusions à la fatigue, à l'oubli de soi, sont nombreux. Valentina (Monica Vitti) lit Les somnambules d'Hermann Broch et Marcello affirme "Non je n'ai plus d'idée, juste des souvenirs" ou "La vie serait supportable sans les plaisirs". Il a perdu l'archaïque puissance de l'écrivain. Giovanni n'arrive plus à se projeter dans l'avenir.
Son amour de Valentina est probablement une voie plus forte et poétique que l'enlisement de son amour évanoui avec Lidia. En s'oubliant lui-même, il est devenu, comme le professeur Thomaso, peut-être un sujet amoureux mais plus un objet d'amour. Comment, dans ce monde qui se transforme, en arrive-t-on à s'aimer aussi mal ? Si les lignes des bâtiments sont droites, les pensées des hommes sont trop courbes et seul l'instinct des femmes leur permet de trouver, un peu mieux, leur chemin. (http://www.cineclubdecaen.com/realisat/antonioni/nuit.htm )
L’eclisse (1962) se déroule à Rome, l'été. Une jeune femme de condition modeste, Vittoria (Monica Vitti), insatisfaite d'une liaison sans amour, rompt avec son ancien amant, un attaché d'ambassade, Ricardo (Francisco Rabal), qui l'emploie comme traductrice. L'appartement de Riccardo est situé dans l'enceinte de l'E.U.R. banlieue crée par Mussolini qui se veut un pompeux mélange d'architecture antique et futuriste. Le couple a visiblement passé une nuit blanche et sa relation est dans l'impasse. Elle rencontre à la Bourse, où elle retrouve sa mère qui joue pour occuper ses loisirs, un jeune agent de change (Alain Delon) avec qui elle essaie de réapprendre à aimer. Mais le jeune homme va la décevoir et Vittoria va bientôt retrouver le goût amer de la solitude.
Le film ouvre sur la séparation du couple à travers une scène remplie de modernité. C’est un moment de latence, une parenthèse de silence où les mots, comme usés d’avoir été trop prononcés, ne servent plus à rien (signalons qu’Antonioni n’a jamais vraiment cru au pouvoir du dialogue pour résoudre les conflits). Le silence sonne donc le glas de l’union du couple et creuse activement sa béance entre ces deux êtres qui sont déjà séparés comme le montrent les images suivantes qui définissent à la fois la problématique du film et l’essence même du cinéma moderne.
Les temps morts d'Antonioni ne montrent pas seulement les banalités de la vie quotidienne, ils recueillent les conséquences ou l'effet d'un événement remarquable qui n'est que constaté par lui-même sans être expliqué (la rupture d'un couple, puis celle d'un second). La méthode du constat chez Antonioni a toujours cette fonction de réunir les temps morts et les espaces vides : tirer toutes les conséquences d'une expérience décisive passée, une fois que c'est fait et que tout a été dit, "quand tout a été dit, quand la scène majeure semble terminée, il y a ce qui vient après" (Antonioni, cinéma58, septembre 58).
Les images d'Antonioni, qui suivent impersonnellement un devenir, n'en subissent pas moins de rapides ruptures. Nous sommes renvoyés à des espaces quelconques, déconnectés. La connexion des parties de l'espace n'est pas donnée, parce qu'elle ne peut se faire que du point de vu subjectif d'un personnage absent, ou même disparu, non seulement hors champ, mais passé dans le vide.
Bref, L’eclisse est aussi remarquable pour la façon dont Antonioni filme Vittoria marchant, seule, dans les grandes rues de cette ville italienne, proposant une approche photographique de l'architecture moderne.
A partir de L'éclipse, l'espace quelconque n'est plus seulement déconnecté mais vidé, déserté. C'est que, de conséquence en conséquence, les personnages se sont objectivement vidés : ils souffrent moins de l'absence d'un autre que d'une absence à eux-même. (http://www.cineclubdecaen.com/realisat/antonioni/eclipse.htm )
Il deserto rosso (1964) s’inscrit en continuité de La Notte et de L’eclisse car ils traitent de thèmes semblables et ont pour actrice principale la magnifique Monica Vitti.