vendredi 12 novembre 2010

Cerrone, Supernature, 1977 (3/3)

Supernature est l’album mythique de la discographie de Cerrone, vendu à plus de 8 millions d’exemplaires. Ce troisième opus remporte 5 récompenses à la cérémonie des Billboard Awards 1978 (meilleur album instrumental, meilleur artiste masculin, meilleur album, meilleur producteur et meilleur compositeur – lors de la même cérémonie Donna Summer est sacrée meilleure artiste féminine, les Bee Gees, meilleur groupe) et le Golden Globe de meilleur producteur de l’année.

Cerrone III Supernature est un album disco, futuriste, assez inédit et original. Il est très différent des deux premiers albums de Cerrone (Love In C Minor et Paradise) et de ce que la disco a produit jusque là. Engagé, il est composé et enregistré à Londres en pleine explosion du mouvement punk, coécrit avec Lene Lovich, figure marquante de la New Wave, et chanté par une voix aux tonalités définitivement punk, Kay Garner. « Quand j’ai fait Supernature, j’ai forcément été influencé par le côté contestataire, no future, des punks anglais. Je me sentais de toute façon plus proche d’eux que de la soupe disco qui envahissait le dancefloor… » (Cerrone, Op. cit., 2004, p. 111)

Depuis le milieu des années 1970, aux studios Trident de Londres sévit un duo venu de France véritable moteur du disco version Vieux continent. Les Parisiens Marc Cerrone et Alec R. Costandinos, initialement remarqués lorsque les 300 exemplaires de Love In C Minor débarquent par hasard sur les platines new-yorkaises, ont déjà collaborés une première fois en 1972, au sein du groupe Kongas, spécialisé dans l’animation des soirées jet-set de Saint-Tropez. Sur des disques comme Anikana-O et Africanism/Gimme Some Lovin’, Kongas développe un son fusionnant percussions pan-latines, clavier, lignes de basse et vocaux virils. Malgré ce flirt avec la syncope, Cerrone, batteur de formation, compositeur et producteur français, né en 1952 d’un père italien réfugié dans l’Hexagone pour échapper au régime mussolinien, est un ancien musicien du Club Med qui reste attiré par la musique électronique. Quant à Costandinos, de son vrai nom Alexandre Kouyoumdjiam, est né au Caire en 1944 d’un père grec et d’une mère arménienne ; il reste dans l’ombre de Cerrone et a déjà produit des disques pour Andy Williams, Paul Anka et Demis Roussos. Après Supernature, Costandinos prend son envol et produit des groupes tels Love & Kisses et Sphinx & The Synphonic Orchestra. Sa plus spectaculaire production reste l’adaptation de Roméo et Juliette par Love & Kisses (1978), un des premiers albums enregistré sur un 48 pistes.

Lorsque Cerrone débute sa carrière solo au milieu des années 1970, ses compositions puisent dans de nombreuses influences musicales très variées. Le batteur français a été bercé par le son de la musique des clubs, du rock, de l’afro-rock, de la soul et du R&B. Le son Cerrone peut être défini comme une musique d’atmosphère scotchant les gens sur le dancefloor provoquant en eux une transe en les maintenant le plus longtemps possible dans cet état. Le « roi du disco » adore les violons de Barry White, les cuivres de Chicago et les orchestrations du Philadelphia sound. Il aime aussi le son nouveau et complètement expérimental du groupe allemand Kraftwerk, qui connaît son premier succès avec une étonnante ballade robotique Autobahn (1974). Il écoute également beaucoup les Pink Floyd et Tangerine Dream, musique d’atmosphère par excellence.

Dès 1976, Cerrone entame une collaboration fructueuse avec Alain Wisniak avec qui il co-écrira et co-réalisera ses plus grands succès : les albums Cerrone's paradise, Supernature, Cerrone V Agelina ,Cerrone VI Panic, Cerrone VIII Back Track.

Par ailleurs, le titre Supernature est composé en pleine période d’expérimentation des synthétiseurs. Les firmes qui les fabriquaient cherchaient alors des artistes pour les tester. Supernature est produit avec l’un des tout premiers synthés, l’Odyssey Arp qui offre toute la dimension futuriste à la musique de Cerrone.


Cerrone: Supernature (Original 1977)
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Le clip de Supernature est coréalisé par Cerrone et Rémy Grumbach. La vidéo s’ouvre avec la vue d’une salle d’opération chirurgicale et un cadavre humain écorché allongé sur une table d’opération. Cerrone surgit ainsi que trois étranges créatures. Ce décor, également celui de la pochette de l’album, correspond à une salle de la clinique de Choisy-le-Roy, et la table d’opération serait celle sur laquelle a été mis au monde le premier fils de Cerrone deux ans auparavant.

Puis un paysage complètement lunaire, assez étrange, apparaît évoquant un « après » catastrophe nucléaire. Des rescapés de l’apocalypse escaladent des collines à moitié nus. Cerrone arrive en Rolls pour jouer de la batterie au fond du cratère. La scène est tournée dans les carrières de Mantes à quelques dizaines de minutes de Paris.

Enfin, un dernier décor en total contraste surgit : celui d’un jardin d’Eden, très proche de ceux peints par le Douanier Rousseau, également présent à l’intérieur de la double pochette de l’album. Il s’agirait de jardins exotiques d’Auteuil. Cerrone est entouré de créatures mutantes, mi-hommes, mi-bêtes.

A travers Supernature, le « roi du disco » propose une réflexion sur son époque tourmentée. Le titre est composé en octobre 1977. Les deux mois précédents meurent Elvis Presley et Maria Callas. Le 20 octobre, la presse européenne annonce la macabre découverte, près du Mulhouse, du cadavre du patron des patrons allemands (et ancien SS) Hans Martin Schleyer, enlevé par un mois plus tôt par la Fraction Armée Rouge (RAF). L’exécution de Schleyer intervient au lendemain de l’annonce du prétendu suicide collectif dans leur cellule respective d’Andreas Baader, de Jan Carl Raspe et de Gudrun Ensslin, têtes pensantes de la bande à Baader, détenus en prison depuis 1972 et dont la RAF tentait d’obtenir la libération en utilisant Schleyer comme monnaie d’échange. Durant le mois d’octobre, un laboratoire de recherche britannique annonce la naissance du premier bébé-éprouvette pour juillet 1978. En Italie, un peu plus d’un an après la catastrophe de l’usine chimique de Soveso (Lombardie), des chercheurs révèlent de nouveaux effets néfastes pour la santé des habitants de la région. Quatre ans plus tôt, l’ère des OGM débute à la suite des travaux de deux scientifiques américains Stanley Cohen et Herbert Boyer. L’heure est aux débats sur les questions d’éthique à un moment où les Etats-Unis, traumatisé par la guerre du Vietnam, laissent l’URSS mener sa politique d’expansion.

Cette réflexion s’inscrit à un moment où la frontière entre la réalité et la science fiction semble de plus en plus ténue. En 1977, le Concorde, avion supersonique, propose des vols commerciaux depuis un an. Prendre l’avion est une pratique qui s’ancre dans les sociétés occidentales. Si la conquête spatiale connaît une pause, elle fascine toujours autant et inspire le Septième art d’autant qu’en 1969, l’homme a marché sur la Lune. Au cinéma, en moins de dix ans, on est passé de la poésie psychédélique futuriste de 2001, l’odyssée de l’espace au quasi-réalisme de La Guerre des étoiles. Les héros ne se perdent plus dans l’espace, ils boivent des verres avec les extraterrestres sur de la musique disco…

« C’était une époque charnière où les progrès techniques et scientifiques étaient à la fois fascinants et effrayants. Je pense que l’être humain, depuis toujours, ne doit son salut qu’à sa propre capacité à se « reformater » à chaque fois qu’il lui est nécessaire de le faire. Si jusque-là le rythme des reformatages était relativement supportable, il s’était soudain emballé à un point tel que l’homme n’avait plus d’autre choix que de devenir une « supernature » s’il voulait soutenir al cadence effrénée de reformatages qui lui était imposée. Lorsque je suis arrivé à Londres, et que j’ai retrouvé Lene Lovich pour discuter des textes des morceaux de mon nouvel album, je lui ai dit que je voulais faire une chanson qui fasse allusion à ce thème. A l’époque, j’étais toujours très influencé par des groupes comme Pink Floyd, Tangerine Dream. Je suis certain que dans ces années-là, tous ceux qui avaient lu H.G. Wells, père de la science-fiction moderne, avaient l’impression que ses romans qui dataient de la fin du XIXe s. étaient prémonitoires… Je n’ai pas été le seul cette année-là, à m’être souvenu du scénario de L’île du docteur Moreau, roman qu’il a écrit en 1896… Je crois que le film de Don Taylor, adaptation du roman, avec Burt Lancaster, Michael York et Barbara Carrera est sorti pratiquement en même temps que Supernature. L’histoire de L’île du docteur Moreau est celle d’un savant fou qui vit sur une île perdue dans le Pacifique et qui, à force de passer son temps à greffer des membres d’animaux sur des corps humains et vice-versa, réussit à créer des créatures mi-hommes mi-bêtes. La fin du docteur Moreau est tragique… et la morale de l’histoire, au premier degré, c’est que l’homme est puni pour son désir de puissance et parce qu’il a voulu se substituer à Dieu. Le vrai message de Wells est bien plus humaniste que puritain : il sait que la science permettra un jour de transformer la matière, y compris la matière vivante, et pense qu’il est temps de réfléchir à l’éthique de telles pratiques. En 1978, moins de cent ans plus tard, la fiction était devenue réalité. L’homme, lui, n’avait toujours pas pris le temps de réfléchir aux conséquences de ses actes. » (Cerrone, Op. cit., 2004, p. 106).

Supernature (Cerrone/Wisniak)

© 1977 Malligator Productions

Once upon a time
Science opened up the door
We would feed the hungry fields
'Til they couldn't eat no more
But the potions that were made
Touched the creatures down below
And they grew up in a way
That we'd never seen before

Supernature, Supernature
Supernature, Supernature

They were angry with the man
'Cause he'd changed their way of life
And they take their sweet revenge
As they trample through the night
For a hundred miles or more
You could hear the people cry
But there is nothing you can do
Even God is on their side

Supernature, Supernature
Supernature, Supernature

Gods will break the ice, and throw it in the air
The creatures will decide who goes where

How can I explain?
Things are different today
Darkness all around, no one makes a sound
Such a sad affair, no one seems to care

Supernature, Supernature
Supernature, Supernature

Better watch out, there's no way to stop it now
You can't escape, it's too late
Look what you've done
There's no place that you can run
The monsters made, we must pay

Maybe nature has a plan
To control the ways of man
He must start from scratch again
Many battles must he win
'Til he earns his place on earth
Like the other creatures do
Will there be a happy end?
Now that all depends on you

Supernature, Supernature
Supernature, Supernature
Supernature, Supernature
Supernature, Supernature

L’album reflète son époque. Sombre sur la face A, la face B beaucoup plus légère se compose de trois titres. Elle débute avec l’incontournable Give Me Love,


Cerrone: Give Me Love
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Réalisé par G Barier, ce clip introduit l’usage d’effets qui deviendront aussi typiques du mouvement Disco : superpositions d’images par incrustations d’étoiles et de cœurs, de Losanges aussi. On y retrouve aussi, comme dans la plupart des clips de Cerrone, la fameuse batterie LUDWIG, en plexi coloré, qui avait été faite sur-mesure par Ludwig à l’époque.

Supernature

Face A : Supernature, Sweet Drums, In The Smoke.

Face B : Give Me Love, Love Is Here, Love Is The Answer.

Bibliographie sélective :

Cerrone, … Et pourquoi pas la lune !, Paris, Jacques-Marie Laffont Editeur, 2004, 288 p.

Philippe Chassaigne, Les années 1970. Fin d'un monde et origine de notre modernité, Paris, A. Colin, 2008, 367 p.

Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, Histoire culturelle de la France, Tome 4 : Le temps des masses. Le vingtième siècle, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 2005, 505 p.

Peter Shapiro, Turn The Beat Around. L’histoire secrète de la disco, Paris, Editions Allia, 2008, 428 p.

& le double DVD Cerrone Culture The Complete Video Anthology, 2004, Malligator Productions

jeudi 28 octobre 2010

Cerrone, Supernature, 1977 (2/3)

La musique de Cerrone illustre à certains égards les changements qui s’opèrent dans la deuxième moitié des années 1970. Elle est une contribution majeure à l’avènement du disco qui apparaît aux Etats-Unis en 1975.

Dans un article titré « Disco Fever » (28 août 1975), Vince Aletti, journaliste au magazine Rolling Stone, évoque la nouvelle musique écoutée dans les clubs. Il note que le R&B des sixties, dominé par le son Motown de Detroit, a définitivement évolué vers un son plus complexe, plus soigné, plus structuré, aux rythmes de plus en plus soutenus et appropriés pour la danse. C’est à Philadelphie qu’apparaît ce nouveau son, luxueux, riche en arrangements et en innovations mélodiques immédiatement reconnaissables, marqué par des tonalités souvent jazzy. Le Philadephia sound change la perception de la musique noire aux Etats-Unis qui attire en masse le public blanc américain. Si Vince Aletti reste réservé sur l’avenir de cette musique nouvelle, il prévoit une saturation rapide du genre, lequel est déjà victime d’une lucrative récupération de l’industrie du disque. Il sent aussi que la vraie disco n’est pas encore tout à fait née, mais ne sait pas encore que c’est la Vieille Europe qui va la porter à son apogée avec des artistes comme Giorgio Moroder, l’Américaine d’adoption Donna Summer, Marc Cerrone…

En 1975, la voix sensuelle de Donna Summer explose dans les charts avec son érotique et lancinant Love To Love You Baby. Le morceau dure 15 minutes. Cette balade a été composée à Munich par Giogio Moroder. La légende raconte que la version originale de Love To Love You Baby, envoyée par Moroder à Neil Bogart, président de Casablanca Records faisait environ 5 minutes. Une fois reçue, Neil Bogart a souhaité tester l’accueil du titre auprès de ses amis lors d’une soirée privée. Sa femme passe le morceau une première fois, et devant la réaction positive des invités qui dansent, la rejoue trois fois de suite sans interruption. Face à ce succès, dès le lendemain, Neil Bogart contacte Giorgio Moroder pour lui demander de rallonger le morceau pour en faire une version de 15 minutes environ. Au même moment, outre-Atlantique, Tom Moulton crée le principe des versions allongées des chansons plus adaptées à la diffusion en club (voir ci-dessous).

Donna Summer, Love To Love You Baby, 1975

Love To Love You Baby annonce le premier succès de Marc Cerrone enregistré au studio Trident à Londres en 1976. Love In C Minor lance sa carrière solo par hasard. Suite à une erreur de manutention chez un vendeur de disques des Champs Elysées, 300 copies du vinyle Love In C Minor, décoré d’une pochette provocante afin d’attirer l’attention, sont expédiées à New York à l’automne 1976. Le son Cerrone et l’ambiance dégagée par la musique font alors immédiatement un carton dans la grande pomme sans que le compositeur et interprète français ne le sache.

Cerrone, Love In C Minor, 1976


Love In C Minor / CERRONE
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Le son Cerrone et les 16 minutes et 13 secondes de son « extatique odyssée musicale » sont trop avant-gardistes pour les majors françaises qui feignent d’ignorer ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique et qui ne s’intéressent pas à la musique qui se joue alors dans les clubs. Cerrone produit donc lui-même son album.

Aussi, le disco est indissociable d’un nouveau support musical : le maxi 45 tours. Créé pour l’usage professionnel des DJs New-Yorkais dans le milieu des années soixante-dix, le Maxi 45-tours reste à ce jour, le seul support né, non pas d’une technologie, mais d’un véritable besoin artistique. Il s’agit d’un disque microsillon (ou disque vinyle) au format de 30 centimètres (12 inch en anglais) plus grand que le 45 tours. Il contient en principe un titre ou deux par face, soit un titre original avec ses remix, voire parfois un inédit. Le 12 inch s’avère alors le format idéal pour le disco. Il permet de soutenir son développement puisque les chansons sont beaucoup plus longues que celles de la pop. Il répond aussi aux attentes des DJs qui recherchent une meilleure qualité sonore pour leurs soirées.

Le premier maxi 45-tours, en réalité d'un format de 25 cm, est créé par hasard. Tom Moulton, producteur américain à l’origine du remix, a besoin d'un pressage test d'un morceau qu'il souhaite passer le soir même dans son club. Il veut la première version allongée (extended mix) de I’ll Be Holdin’ On d’Al Downing (1974). Comme l'ingénieur du son, Jose Rodriquez, n'a plus de support de 17 cm, il suggère d'utiliser un support de 25 cm, en espaçant plus les sillons. Tom Moulton constate alors l'amélioration du niveau dynamique des basses, et généralise le principe.

L’objectif des remix lancés par Tom Moulton est de scotcher le public sur le dancefloor afin de le faire vibrer. Il s’aperçoit que les danseurs entrent en transe qu’au bout de trois minutes trente, soit la durée d’un titre 45 tours. Son idée consiste à allonger la chanson en multipliant par deux sa durée. Après avoir analysé la structure d’une chanson, la mise en place de chaque instrument, Tom Moulton refaçonne alors entièrement le mix, les enchaînements, après avoir allongé la durée de chaque piste. D’une intro de quinze secondes, il arrive à une minute puis introduit un à un chaque instrument jusqu’à la partie chantée, allonge les couplets et les refrains avec de l’instrumental, allonge le pont musical, et au final se retrouve avec une chanson dont la durée oscille entre cinq et six minutes.

Avec I’ll Be Holdin’ On naissent les versions extended mix spécialement créées pour les clubs et qui perdurent encore aujourd’hui. La dance music émerge avec Tom Moulton et prend son essor notamment avec Georgio Moderer, Donna Summer, Marc Cerrone…

Bibliographie sélective

Cerrone, … Et pourquoi pas la lune !, Paris, Jacques-Marie Laffont Editeur, 2004, 288 p.

Patrick Roulph, 12’’/33-45 RPM, Paris, Patrick Roulph Editions, 2007, 148 p.

Peter Shapiro, Turn The Beat Around. L’histoire secrète de la disco, Paris, Editions Allia, 2008, 428 p.

Philippe Chassaigne, Les années 1970. Fin d'un monde et origine de notre modernité, Paris, A. Colin, 2008, 367 p.

Cerrone, Supernature, 1977 (1/3)

Supernature est à la fois le titre d’un album et d’une chanson sortis en 1977. Ce troisième opus de Cerrone, souvent surnommé pape du disco, a marqué l’histoire de la musique. Il est aussi un marqueur des évolutions socio-culturelles qui touchent les pays d’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis, probablement l’un des seuls albums disco, voire le seul, porteur d’un véritable « discours » sur son époque. Le titre Supernature révèle la naissance d’une musique nouvelle qui s’ancre dans la société des loisirs en plein développement tout en exprimant les angoisses liées aux évolutions des années 1970.


Pour l’historien Philippe Chassaigne, les années 1970 correspondent à la fin d’un monde hérité de la fin de la Seconde Guerre mondiale et à l’entrée dans la modernité actuelle. C’est l’émergence d’un monde déstabilisé au plan des relations internationales (nouvelle guerre froide, révolution islamique en Iran, début des trente piteuses) à la fois globalisé et multipolaire, dans lequel les pays occidentaux amorcent le passage d’une société industrielle à un monde post-industriel.

Ce monde en mutation a marqué aussi bien les esprits des contemporains que la mémoire. Le terme « crise », qui prend d’ailleurs des formes multiples, est souvent associé à cette décennie. La mémoire collective retient volontiers certains traits négatifs de la période : chocs pétroliers, inflation, montée du chômage, grèves à répétitions, attentats perpétrés par les terroristes palestiniens, gauchistes, fascistes, irlandais, basques, corses ou encore bretons, scandales politiques dans quasiment tous les pays industrialisés. Le style seventies est également raillé notamment pour ses goûts dont les couleurs vives et bariolées.

Pendant cette décennie, la recherche scientifique connaît un impressionnant développement : découverte de « Lucy » en 1974, fondements de la télématique et de l’Internet, naissance des ordinateurs avec la disquette et le microprocesseur, que peut symboliser la naissance d’Apple en avril en 1976. Le futur, le progrès, la modernité sont autant de clés essentielles à la création.

Au plan culturel, on observe notamment une importance croissante des loisirs. La musique évolue. Le rock, même rénové, ouvre une brèche au « moment punk » dont les origines remontraient à 1972 avec le seul concert britannique des Stooges. Pourtant, peu à peu, la génération « moi, moi, moi » de la « Me Decade » (expression de l’auteur Tom Wolfe pour désigner les années 1970), tend à se ranger, en adoptant des vêtements de moins en moins exubérants, en découvrant les joies de l’exercice physique, mais aussi en prenant le disco comme « bande sonore ».

Ce monde en mouvement interroge donc les contemporains soulevant parfois quelques craintes face à l’avenir. On comprend mieux ainsi l’explosion du phénomène des night-clubs et la place primordiale prise par les DJs qui deviennent les instigateurs incontournables d’une danse aux rythmes endiablés. Ces soirées urbaines sont autant de moments privilégiés pour s’évader d’un quotidien pesant, voire anxiogène. Elles rencontrent un écho particulier dans la nouvelle société des loisirs. Elles sont indissociables d’un genre musical nouveau, le disco, dont les origines se situent à Philadelphie et dont le développement et le succès demeurent étroitement liés aux Européens. Dans ces nouveaux lieux de sociabilité offrant à un moment de défoulement musical et d’affirmation de soi, se côtoient les comportements les plus extrêmes mêlant sexe et drogue, prolongeant la vague libertaire de 68 au moment où le rock semble s’essouffler.

Suite dans un prochain post…

Bibliographie sélective

- Cerrone, … Et pourquoi pas la lune !, Paris, Jacques-Marie Laffont Editeur, 2004, 288 p.

- Peter Shapiro, Turn The Beat Around. L’histoire secrète de la disco, Paris, Editions Allia, 2008, 428 p.

- Philippe Chassaigne, Les années 1970. Fin d'un monde et origine de notre modernité, Paris, A. Colin, 2008, 367 p.

- Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, Histoire culturelle de la France, Tome 4 : Le temps des masses. Le vingtième siècle, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 2005, 505 p.

samedi 9 octobre 2010

L'autre visage de la guerre du Vietnam : combats et musique dans l'Amérique des Sixties (4/4)

Pour la première fois durant la Guerre froide aux Etats-Unis, on assiste à une nouvelle attitude vis-à-vis de la guerre et à un manque de foi dans les objectifs. D’ailleurs, beaucoup de GIs enrôlés dans cette guerre ont des doutes, ne comprennent pas leur gouvernement et ne font plus confiance à l’Oncle Sam. Ces doutes sont amplifiés et portés par le mouvement hippie.

La guerre du Vietnam devient une guerre de modèles sociétaux, l’un porté par l’etablishment, s’articulant autour du libéralisme politique et économique, du développement de la société de consommation, l’autre par une génération née après la Seconde Guerre mondiale, fondé sur la contre-culture. Dans cette confrontation, la chanson a joué un rôle central, structurant les camps. Elle a été un acteur galvanisateur et dénonciateur efficace, car la musique donne davantage de vigueur au message. La musique des Beach Boys, au style léger de la surf music ayant évolué vers un son pop music d’envergure, détonne avec celle de Joan Baez ou de Jimy Hendrix, contestataire et progressivement plus dure musicalement.

La guerre du Vietnam terminée, la contre-culture a évolué vers l’heavy metal du moment où la culture dominante a embrassé la contre-culture au début des années 1970. Mais la convergence entre culture et protestation a engendré un lourd héritage qui subsiste aujourd’hui. Il se traduit par la dimension contestataire de la scène rock qui continue de marquer la vie politique américaine.

Toute l’Amérique n’a pas manifestée contre la guerre au Vietnam et toute la culture américaine n’a pas été envahie par cette culture de la protestation, comme l’illustre le maintien de la country music qui conserve sa place dominante. Une réaction conservatrice a commencé. Elle s’exprime politiquement à travers la classe ouvrière des hard-hat s’opposant à la classe moyenne des étudiants contestataires de la guerre du Vietnam.[1] Les dissensions des Sixties résonnent encore aujourd’hui.



[1] Steve Schifferes, « Vietnam : the music protest », BBC News, 1 mai 2005 http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/4498011.stm

Blowin In The Wind par Joan Baez : le chant de la contestation (L'autre visage de la guerre du Vietnam 3/4)

Blowin’ In The Wind de Joan Baez : le chant de la contestation

La guerre du Vietnam a suscité un mouvement de protestation qui se propage au sein du mouvement étudiant dans les années 1960. La chanson a joué un rôle important dans cette protestation, à l’image du titre Blowin’ In The Wind notamment interprétée par Joan Baez dès 1964.

L’enlisement américain au Vietnam participe à la remise en cause de l’ordre établi qui émerge aux Etats-Unis au tout au long des sixties pour finir en 1972 et qui épouse des formes multiples.


Les jeunes américains ne ressentent plus alors le besoin d’apprendre un métier dit convenable, conformiste. Ils ne veulent pas du legs de leurs parents ; ils veulent autre chose : la fin de la guerre, la libération sexuelle. Ils expriment une volonté d’expériences nouvelles, une volonté de changer le monde. Les questions posées par les jeunes sont différentes, nouvelles par rapport à celles de leurs parents. La jeunesse est face à un avenir incertain.

La jeunesse se soulève pour protester contre la guerre du Vietnam, contre la division bipolaire du Monde, contre l’ordre ancien. La « révolte des campus » prend naissance en Caroline du Nord et s’étend aux Etats du Sud. Des sit-in et des manifestations sont organisés pour la défense des droits civiques, puis pour réclamer la fin des essais nucléaires, la liberté d’expression à l’Université, le respect des libertés civiques ou la neutralité envers le régime castriste. La contestation culmine à l’automne 1964 dans l’université californienne de Berkeley où le Free Speech Movement, notamment soutenu par Joan Baez, obtient un assouplissement des règlements universitaires relatifs aux droits d’expression politique sur le campus.

Le point d’orgue de cette contestation juvénile demeure le festival de Woodstock de 1969, ce rassemblement emblématique de la culture hippie. Jimi Hendrix y joue une version historique de The Star-Spangled Banner en solo, tout en distorsion, évoquant des lâchers de bombes au Vietnam. http://www.dailymotion.com/video/x81gse_jimi-hendrix-star-spangled-banner-w_music Country Joe s’interroge sur le sens de ce conflit dans Feel Like I’m Fixing To Die. Le refrain est repris en chœur par le public : Et, Un, Deux, Trois, Pourquoi on se bat ? / Ne me demander pas je m'en fous / Prochain arrêt : le Vietnam… (http://www.youtube.com/watch?v=LBdeCxJmcAo) The Doors, que leur chanson contre la guerre Unknown soldier (http://www.youtube.com/watch?v=czaF7tVTfN8) a propulsé au sommet en 1968, brillent par leur absence à Woodstock. 1969 est une année difficile pour les quatre musiciens. Leur quatrième album The Soft Parade est un succès, mais l'ambiance au sein du groupe est tendue et Jim Morrison est en plein procès pour atteinte à la pudeur, pour s'être déshabillé devant le public lors d'un concert à Miami. The Doors annulent tous leurs concert, dont Woodstock, et leur tournée européenne.

Ce désenchantement donne naissance à une contre-culture qui investit naturellement la sphère musicale. Il donne naissance aux protest songs (chanson de la protestation) puisant à la fois dans le rock, apparu dans les années 1950, et le folk, en plein renouveau. Au début des années 1960, le mouvement folk est déjà bien établi avec des artistes comme Bob Dylan ou Joan Baez touchant un public encre restreint mais fidèle. De nombreux interprètes folk sont étroitement lié au mouvement des droits civiques qui atteint son paroxysme avec des manifestations de masse contre la ségrégation dans les villes du Sud comme à Selma et à Birmingham. C’est dans ce contexte que Bob Dylan compose Blowin’ In The Wind en 1962. La chanson devient l’hymne du mouvement des droits civiques, le Civil Rights Movement, alors en plein essor. Bob Dylan, qui n’a que 22 ans en 1963, devient le héraut du folk-rock. Une légende vivante, malgré son jeune âge.

Après 1965, au moment où les Etats-Unis accentuent leur présence militaire en Indochine, artistes folk et stars du rock s’engagent alors contre le conflit vietnamien et apparaissent lors des rassemblements contre la guerre. Après son engagement dans les marches pour les droits civiques, la jeune Joan Baez affiche son désaccord avec la guerre au Vietnam. La chanteuse née en 1941 s'implique fortement dans ce combat en participant à de nombreuses marches anti-guerre, actions de protestations et concerts engagés. On peut citer la Fifth Avenue Peace Parade de 1966 à New York, ou encore, le concert gratuit de Joan Baez contre le conflit organisé en 1967 au Washington Monument à Washington par les Filles de la Révolution américaine. En 1967, elle est arrêtée deux fois pour avoir bloqué l'entrée du Armed Forces Induction Center d’Oakland en Californie.

L’interprétation de Blowin In The Wind par Joan Baez symbolise encore dans la mémoire collective cette contestation pacifique à la guerre au Vietnam. Certes la chanson n’a pas été écrite à l’origine contre ce conflit. D’ailleurs, la première et magnifique interprétation par le groupe Peter, Paul & Mary (1963) qui lui a assuré son succès populaire n’a rien d’engagé. http://www.youtube.com/watch?v=3t4g_1VoGw4 Ensuite, Bob Dylan réalise un enregistrement qui paraît dans l’album The Freewheelin (1963). Au total, entre 1962 et 1978, il l’enregistre six fois, en changeant le tempo, le rythme, l'intonation, la voix,... mais jamais les paroles. Puis, la chanson est régulièrement reprise par de nombreux artistes, notamment par Joan Baez, artiste engagée et un temps compagne de Bob Dylan.

Blowin' In The Wind est la première composition d'importance de Dylan, c'est également la plus célèbre des protest songs. Située dans un contexte de tension au Vietnam, du mouvement pour les droits civiques, la chanson ne fait pourtant allusion à aucun évènement particulier, ce qui contribue à la rendre intemporelle.

La chanson est constituée de trois strophes, chacune composée de trois vers. Chaque vers comprend une question, dont la réponse, toujours identique, constitue le refrain : « La réponse, mon ami, est portée par le vent, La réponse est portée par le vent. »

La brièveté du texte, ajoutée à la tournure interrogative, naïve du style, tend à souligner l'apparente simplicité de la réponse, indépendamment de la complexité des questions. Cependant, la réponse, vague, ne répond pas aux questions posées, claires et tranchées, et à l'aspect quantitatif bien marqué: il est seulement dit à l'auditeur où il peut trouver la réponse.

Inspiré d'un chant d'esclaves à ligne mélodique très simple, Bob Dylan compose cette chanson reprise par les 250 000 manifestants de la Marche sur Washington organisée par les leaders des droits civiques dont Martin Luther King qui y prononça son célèbre discours I Have a dream. L’âpreté du combat des défenseurs des droits civiques trouve un écho particulier dans la dernière strophe de la chanson. Dans cette même strophe, ne peut-on pas aussi lire la lutte menée par les partisans d’un retour à la paix.

Blowin' in the Wind (Bob Dylan)

How many roads must a man walk down
Before you call him a man?
Yes, 'n' how many seas must a white dove sail
Before she sleeps in the sand?
Yes, 'n' how many times must the cannon balls fly
Before they're forever banned?
The answer, my friend, is blowin' in the wind,
The answer is blowin' in the wind.

How many times must a man look up
Before he can see the sky?
Yes, 'n' how many ears must one man have
Before he can hear people cry?
Yes, 'n' how many deaths will it take till he knows
That too many people have died?
The answer, my friend, is blowin' in the wind,
The answer is blowin' in the wind.

How many years can a mountain exist
Before it's washed to the sea?
Yes, 'n' how many years can some people exist
Before they're allowed to be free?
Yes, 'n' how many times can a man turn his head,
Pretending he just doesn't see?
The answer, my friend, is blowin' in the wind,
The answer is blowin' in the wind.

Combien de routes un homme doit-il parcourir
Avant que vous ne l'appeliez un homme?
Oui, et combien de mers la blanche colombe doit-elle traverser
Avant de s'endormir sur le sable?
Oui, et combien de fois doivent tonner les canons
Avant d'être interdits pour toujours?
La réponse, mon ami, est portée par le vent,
La réponse est portée par le vent.

Combien de fois un homme doit-il regarder en l'air
Avant de voir le ciel?
Oui, et combien d'oreilles doit avoir un seul homme
Avant de pouvoir entendre pleurer les gens?
Oui, et combien faut-il de morts pour qu'il comprenne
Que beaucoup trop de gens sont morts?
La réponse, mon ami, est portée par le vent,
La réponse est portée par le vent.

Combien d'années une montagne peut-elle exister
Avant d'être engloutie par la mer?
Oui, et combien d'années doivent exister certains peuples
Avant qu'il leur soit permis d'être libres?
Oui, et combien de fois un homme peut-il tourner la tête
En prétendant qu'il ne voit rien?
La réponse, mon ami, est portée par le vent,
La réponse est portée par le vent.

Blowin' in the Wind est sans doute le point de départ d'une acceptation de la chanson de protestation auprès des médias, la première chanson de révolte moderne à être largement diffusée. Les paroles poétique et aérienne de Dylan peuvent se fondre en faveur de n’importe quel combat. La jeunesse lit dans les vers ses interrogations face à son avenir sans y trouver de réponse. La revendication d’un retour à la paix s’exprime aussi à travers ces strophes.

Avec l’escalade du conflit, la nature de la chanson de protestation évolue également. C’est l’époque de la contre-culture, du flower power et du festival de Woodstock. Le rock remplace le folk dans la culture de protestation et la contre-culture. Le ton se durcit.

C’est le rock psychédélique, inspiré par l'usage de drogues hallucinogènes et notamment du LSD (acid rock), des groupes tels San Francisco Jefferson Airplane chantant la révolution d'une génération dans Volunteers http://www.youtube.com/watch?v=6ljxpyH4dnA ou Grateful Dead. Ce genre musical se caractérise par une construction rythmique peu complexe et hypnotique, des mélodies répétitives et pénétrantes, des solos instrumentaux longs et tortueux, modelés d'effets sonores tels que la wah-wah et la distorsion, le tout dans des morceaux généralement assez longs.

Les protestations deviennent encore plus fortes après la mort de quatre étudiants lors d'une manifestation anti-guerre à Kent State, en Ohio, en 1970. Le groupe Crosby, Stills, Nash and Young écrit alors la chanson Ohio avec pour paroles : « Nixon et ses soldats de plomb arrivent / Nous avons enfin notre liberté de pensée / Cet été j'entends les tambours / Quatre morts dans l'Ohio » http://www.youtube.com/watch?v=a6irfBMm48g

Aussi, les débuts des négociations de paix entreprises par l’administration Nixon atténuent l’agitation dans les campus. L’une des dernières chansons de protestation contre la guerre au Vietnam de Joan Baez intervient après le bombardement d’Hanoï en 1972.

Sloop John B des Beach Boys : le triomphe du modèle américain (L'autre visage de la guerre du Vietnam 2/4)

Sloop John B des Beach Boys : le triomphe du modèle américain

Durant la guerre du Vietnam, les émissions de radio ont joué un rôle important pour les GIs engagés. Pour un soldat américain, chaque jour de survie signifie un jour de moins là-bas et un jour gagné sur le retour prochain. La radio aide à passer les journées et participent à maintenir le moral des troupes. Les émissions distraient et rappellent le pays. Elles diffusent les tubes et les artistes qui connaissent un succès aux Etats-Unis pendant les années 1960 comme The Beach Boys, The Beatles, Elvis Presley, Petula Clark, Simon & Garfunkel, The Rolling Stones, The Supremes, Aretha Franklin, Martha reeves & The Vandellas, The Mamas & The Papas, etc[1]… Elles opèrent aussi une forme de censure en évitant d’émettre les chansons liées à la contre-culture réclamant la paix.

Les progrès de la société de consommation et de la miniaturisation s’accompagnent de la vente à bon marché de petits transistors portables rendant possible l’écoute des émissions de divertissements mais aussi les informations, les reportages sportifs, les événements nationaux, maintenant un lien entre le Vietnam et les Etats-Unis. Ainsi, partout, les GIs peuvent écouter les stations du réseau des forces américaines au Vietnam (American Forces Vietnam Network – AFVN)[2].

Parmi les chansons les plus populaires émises sur les ondes d’AFVN en 1966 se distingue Sloop John B interprétée par les Beach Boys, septième titre extrait de leur album Pet Sounds. Cette chanson est d’abord sortie en single le 21 mars 1966 quelques semaines avant l’album et s’est hissée à la troisième place du Billboard Hot 100 en mai[3]. Elle a connu un succès mondial occupant la tête des hits parades notamment en Allemagne, Autriche, Norvège, en Afrique du Sud et en Nouvelle Zélande. Elle demeure l’un des titres les plus populaires et les plus mémorables du groupe californien.


THE BEACH BOYS-SLOOP JOHN B
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A l’origine de ce titre, une chanson populaire traditionnelle des Caraïbes. Le John B. était un bateau à une voile dont l'équipage avait la réputation de devenir particulièrement joyeux quand il rentrait au port. La douceur de la partition et le jeu des couleurs sonores nous entraînent bien loin des atrocités quotidiennes de la guerre. D’ailleurs, le thème du retour a du avoir une résonnance particulière auprès des GIs.

Sloop John B (traditionnel, arrangement Brian Wilson)

We come on the sloop John B

My grandfather and me

Around Nassau town we did roam

Drinking all night

Got into a fight

Well I feel so broke up

I want to go home

So hoist up the john bs sail

See how the mainsail sets

Call for the captain ashore

Let me go home, let me go home

I wanna go home, yeah yeah

Well I feel so broke up

I wanna go home

The first mate he got drunk

And broke in the capns trunk

The constable had to come and take him away

Sheriff John Stone

Why don't you leave me alone, yeah yeah

Well I feel so broke up I wanna go home

So hoist up the john bs sail

See how the mainsail sets

Call for the captain ashore

Let me go home, let me go home

I wanna go home, let me go home

Why don't you let me go home

(hoist up the john bs sail)

Hoist up the John B

I feel so broke up I wanna go home

Let me go home

The poor cook he caught the fits

And threw away all my grits

And then he took and he ate up all of my corn

Let me go home

Why don't they let me go home

This is the worst trip Ive ever been on

So hoist up the john bs sail

See how the mainsail sets

Call for the captain ashore

Let me go home, let me go home

I wanna go home, let me go home

Why don't you let me go home

Nous sommes arrivés sur le sloop John B

Mon grand'père et moi

Nous nous sommes baladés dans de (la ville de ) Nassau

On a bu toute la nuit

On s'est mis dans une bagarre

Oh, je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Alors hissez la voile du John B

Voyez comment la voile principale se gonfle,

Faites venir le capitaine, il est en ville

Laissez-moi rentrer chez moi x2

Je veux rentrer chez moi

Oh je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Le premier matelot s'est saoûlé

Il a forcé le coffre du capitaine

La police a du venir le chercher

Sheriff John Stone,

Pourquoi ne me laissez-vous pas tranquille ?

Je me sens tellement mal je veux rentrer chez moi

Alors hissez la voile du John B

Voyez comment la voile principale se gonfle,

Faites venir le capitaine, il est en ville

Laissez-moi rentrer chez moi x2

Je veux rentrer chez moi

Oh je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Le pauvre cuisinier a fait une crise,

Il a jeté toutes mes cigarettes

Puis il a pris et mangé tout mon maïs

Laissez-moi rentrer chez moi

Pourquoi on ne me laisse pas rentrer chez moi ?

C'est le pire voyage que j'ai jamais fait ?

Alors hissez la voile du John B

Voyez comment la voile principale se gonfle,

Faites venir le capitaine, il est en ville

Laissez-moi rentrer chez moi

Je veux rentrer chez moi

Oh je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Ce titre est représentatif de la génération qui a servi au Vietnam. L’âge moyen des soldats est de 19 ans, et selon certains chiffres 90% d’entre eux avait moins de 23 ans. Les GIs sont venus avec leurs goûts musicaux. Le rock est le genre le plus populaire. En 1963-1965, les Beach Boys s’imposent comme le premier groupe américain. Depuis 1961, ils collectionnent les disques d’or, dont Surfin’USA, I Get Around, Barbara Ann…

Certes Sloop John B est la reprise d’une chanson traditionnelle, personnalisée à travers une harmonisation propre aux Beach Boys. Dans ce conflit localisé de la Guerre froide, écouter et entonner cette chanson du côté des GIs contribue à réaffirmer le modèle américain tout en justifiant ainsi la cause combattue (un modèle fondé sur le libéralisme politique et économique, sur la société de consommation). En effet, mieux que personne, les Beach Boys symbolisent l’American Way Of Life et la génération du baby-boom. « Ils incarnent l’Amérique opulente des années 1960, où le monde est une plage de sable blanc inondée de soleil, bercée par les rouleaux de l’océan sur lesquels ondulent les planches de robustes gaillards bronzés. Ils chantent la jeunesse triomphante, les virées en bagnole sur les corniches de Californie, le surf et les flirts sur la plage au clair de lune »[4].

Pour les Beach Boys, 1966 correspond à la fois à l’apogée du groupe et au début de sa dégringolade. Sorti après Sloop John B, Good Vibrations (http://www.youtube.com/watch?v=TCeD_6Y3GQc) offre au groupe californien le succès mondial de 1966, devançant même les Beatles dans les classements en Grande-Bretagne. Ce sera leur dernier grand succès[5].

Le disque est lancé le 10 octobre 1966, alors que la vague hippie commence à déferler sur l’Amérique. Le succès est gigantesque, mais l’euphorie de courte durée. Le triomphe de Good Vibrations cache l’échec de l’album Pet Sounds sorti en mai 1966, ce concept album incompris du grand public par les innovations sonores introduites. Brian Wilson, leader du groupe, commence alors à souffrir de cette dépression qui, au fil des décennies, le conduira plus d’une fois au fond du gouffre.

« Dès l’année suivante, les Beach Boys feront d’ailleurs les frais de la contestation naissante de la jeunesse américaine. Ces teenagers blonds, un peu trop beaux, un peu trop sains, ne correspondent plus à cette Amérique qui envoie ses soldats par milliers au Vietnam se défoncer pour échapper à l’angoisse et à l’absurde. Pour les Beach Boys, c’est le début d’une éclipse qui durera jusqu’en 1988 »[6]. Pourtant, en 1995, presque trente ans après sa sortie, un panel de musiciens, de compositeurs et de producteurs réunis par le magazine britannique MOJO l'a élu « plus grand album jamais créé ». En 2003, le magazine Rolling Stone le déclare « deuxième meilleur album de tous les temps » juste après Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles.

A croire que l’insuccès des Beach Boys à la fin des années 1960 annonce les doutes qui envahissent la société américaine ainsi que la déroute américaine au Vietnam…



[1] Cette liste non exhaustive s’appuie essentiellement sur la playlist des chansons les plus populaires diffusées sur AFVN entre 1965 et 1971 établie par le Casper Avation Platoon sur le site officiel : http://www.casperplatoon.com/VietnamWarMusic.htm Elle se base aussi sur la playlist établie par Ken Kalish à partir de documents originaux de l’AFVN (ici deux pages sur 20 concernant l’année 1969) http://members.fortunecity.com/parker4/play.html

[2] http://home.earthlink.net/~bfwillia/index.html L’AFN est le nom commercial utilisé par l’armée américaine pour désigner les services radio et tv développés par le Département de la guerre.

[3] Sloop John B. a été classé numéro 271 sur Rolling Stone liste s 'des 500 plus grandes chansons de tous les temps.

[4] Bruno Icher, « Goods Vibrations, les Beach Boys et l’appel des vibes », dans Libération, 1er juillet 2010.

[5] Cette chanson est classée 6e meilleure chanson de tous les temps selon le magazine Rolling Stone , et 3e meilleure chanson de tous les temps selon le site Acclaimed Music. Sortie d’abord en format 45 tours, elle paraît sur l’album Smiley Smile (1967)

[6] Bruno Icher, op. cit.