Lors des élections générales des dimanche 13 avril et lundi 14 avril 2008, les Italiens ont voté dans un contexte de crise institutionnelle et de difficultés économiques & sociales. Malgré une campagne politique atone, le taux de participation est demeuré élevé (près de 80%) comme lors du précédent scrutin de 2006. La droite est sortie victorieuse offrant ainsi pour une troisième fois la présidence du Conseil à Silvio Berlusconi. L’issue du scrutin révèle néanmoins un paysage politique en pleine recomposition.
La réforme électorale de 2005 semble avoir favorisé une simplification partisane à droite comme à gauche. La jeune république italienne repose sur un bicamérisme paritaire offrant à la Chambre des députés (Camera dei deputati) et au Sénat (Senato della Repubblica) les mêmes pouvoirs. Gouverner devient difficile, voire impossible si la majorité aux deux chambres n’est pas de la même couleur politique.
Afin d’assurer une stabilité gouvernementale, une modification du mode de scrutin a été opérée en 2005. Un système mixte, combinant suffrage universel proportionnel avec prime à la majorité a été instauré pour l’élection des membres des deux chambres.
La prime majoritaire consacrant la victoire de la coalition arrivée en tête des suffrages suppose des alliances électorales très larges, finalement peu favorables à des majorités stables, comme peuvent en témoigner les résultats des élections générales de 2006 et les difficultés du gouvernement Prodi.
Les conséquences de la réforme de 2005 peut-être accentuées/accélérées par la dernière crise institutionnelle qui a conduit à la démission du gouvernement Prodi (février 2008) ont poussé les acteurs politiques à élaborer de nouvelles stratégies électorales. D’une certaine manière, une volonté de rationaliser le paysage politique par la mise en place de structures partisanes fortes a donc vu le jour. Elle prend la forme d’une américanisation de la vie politique italienne d’abord impulsée par Silvio Berlusconi dès ses débuts en 1994, processus aujourd’hui également intégré par la gauche suite au pari de Walter Veltroni.
En novembre 2007, Silvio Berlusconi dissout Forza Italia et la Maison des Libertés pour fonder le Peuple de la Liberté (PDL), véritable instrument de reconquête du pouvoir. Il poursuit son œuvre de modernisation de la droite italienne commencée il y a quinze ans. Introduisant les techniques du marketing politique, l’ancien magnat des médias a progressivement insufflé un nouveau style à la vie politique italienne : concepts simples, langage clair et direct, compréhensible de tous, des campagnes ponctuées de meeting à l’américaine.
En radicalisant le débat, ce communicateur de talent a contribué à la bipolarisation du système politique. "Il Cavaliere" s’est imposé comme le leader du centre droit occupant un espace politique laissé vide par la disparition de la Démocratie chrétienne. Avec Forza Italia, Silvio Berlusconi s’est érigé en unique rempart face à la gauche. Ce leadership au sein de la droite s’est accru en fondant le PDL. Pendant la campagne, l’ancien président du Conseil a construit l’image politique d’un homme capable d’éviter le naufrage de l’Italie. Son dynamisme apparent, son image toujours vivace d’entrepreneur à succès, son discours posé contrastant avec la violence verbale de la campagne de 2006, ainsi que les sacrifices nécessaires annoncés donnant une tonalité quasi christique à sa candidature ont su convaincre les Italiens. Si la victoire d’avril montre la capacité du "Cavaliere" à rassembler son camp, la création du PDL illustre également son ambition à être élu futur Président de la République italienne.
A gauche, l’initiative est liée à Walter Veltroni qui a entrepris une modernisation de la gauche. En octobre 2007, l’ancien maire de Rome a pris la tête d’un nouveau parti, le Parti démocrate (PD), fusion des Démocrates de gauche (ex-communistes) et de la Marguerite (ex-démocrates-chrétiens de gauche). Il a définit son parti comme n'étant "pas de gauche mais réformiste, de centre gauche", plus proche du modèle américain ou de la "troisième voie" blairiste que du socialisme européen : "Un Parti démocrate américain à l'italienne." (M. Van Renterghem, Le Monde, 12/04/2008). Le leader de la gauche réformatrice a parié sur une rupture avec la gauche radicale Cette fin de l’alliance traditionnelle et ingérable des formations de gauche qui a précipité la chute du gouvernement Prodi a également contraint Silvio Berlusconi à réduire de son côté ses alliances à droite, ouvrant une voie vers un bipartisme assurant de rendre l’Italie gouvernable.
L’ancien maire de Rome incarne une génération qui tente de rénover la gauche depuis l’effondrement du communisme. Au lycée, Walter Veltroni suit une spécialisation en technique du cinéma et de communication et entre au PCI pour manifester son opposition à la guerre du Vietnam. Chargé de la communication du Parti, il apprend à devenir ce grand communiquant qui le conduira à participer à la transformation progressive du PCI, à siéger comme ministres dans les gouvernements Prodi avant d’administrer la capitale de l’Italie, véritable tremplin pour une carrière nationale.
Pendant toute la campagne, Walter Veltroni n’a pas caché sa passion pour l’Amérique. Admirateur des Kennedy et soutien d'Obama, le parti de l’âne constitue le modèle qui a inspiré le leader de la gauche réformatrice célèbrant "le vent nouveau qui souffle de l'Amérique" et "les idées démocrates capables de réunir la croissance économique et la lutte contre la pauvreté". L’organisation de sa campagne s’est inspirée de celle de Bill Clinton en 1996 qui avait alors parcouru les Etats-Unis en bus. Walter Veltroni a donc sillonné avec un autocar vert les 110 provinces italiennes à la rencontre des Italiens, de meeting en meeting, déjeunant parfois chez l’habitant. Le slogan "Si puo fare" (oui, on peut le faire) reprend le "Yes we can", du candidat américain à l'investiture démocrate de 2008, Barack Obama. Par cette reprise, Walter Veltroni a voulu s’imposer comme le seul candidat du changement. Si le temps a probablement manqué au PD pour se démarquer nettement dans l’opinion du PDL, la défaite électorale ne doit pas masquer les avancées dans la recomposition de la gauche lancée par Walter Veltroni. Ce dernier est parvenu à imposer un parti fort sans coalition, le PD, éliminant tous les petits partis désormais coulés par la réforme du mode de scrutin de 2005.
Il faut enfin préciser que les deux partis ont tenu compte d'une opinion publique très remontée contre la classe politique, en accordant plus de place à des candidats issus de la société civile, en rajeunissant et en féminisant leurs listes. L'âge moyen est de 44,5 ans pour le PD et de 48 ans pour le PDL. S'il n'y a qu'une femme pour trois candidats à droite, la proportion approche les 50 % à gauche. (J.-J. Bozonnet, Le Monde, 19/03/2008)
L’alternance et la bipolarisation caractérisent désormais la démocratie italienne. Les résultats ont consacré la victoire de la droite qui succède à la gauche au pouvoir. Deux grandes formations dominent l’échiquier politique : le PDL à droite, et le PD à gauche. Ce scrutin accompagne la disparition de la très grande majorité des petites formations du Parlement. Désormais, le PSI, présent depuis la fin du XIXe s. et le PCI n’y siègent plus. Si les petits partis de la gauche radicale ont coulé, à droite, le succès électoral de la Ligue lombarde ne présage pas une direction sereine des affaires pour le prochain gouvernement Berlusconi, notamment pour la gestion du dossier concernant l’avenir d’Alitalia.
Bibliographie :
- ATTAL Frédéric, Histoire de l’Italie de 1943 à nos jours, Paris, A. Colin, 2004, 416 p.
- LAZAR Marc, L’Italie à la dérive. Le moment Berlusconi, Paris, Perrin, 2006, 156 p.