samedi 22 mai 2010

Cannes 1960 : Fellini et Antonioni récompensés

Le festival du cinéma de Cannes 2010 est présidé par Tim Burton au grand bonheur de ses organisateurs. « En demandant à ce cinéaste visionnaire de nous accompagner en 2010, Gilles Jacob et moi-même souhaitions réaffirmer symboliquement notre volonté de continuer d’encourager l’avenir. L'avenir du Festival, en étant sans cesse à l’affut de ce qui s’invente (…). L’avenir du cinéma aussi et surtout » (Thierry Frémaux).

Deux réalisateurs de l’âge d’or du cinéma italien

Justement, il y a cinquante ans, le jury présidé par Georges Simenon décernait la palme d’or à La Dolce Vita de Federico Fellini et le prix du Jury à L’Avventura de Michelangelo Antonioni – deux chefs d’œuvre d’un cinéma italien très innovateur qui ont marqué l’histoire du cinéma au-delà des polémiques qui ont agité la Croisette en 1960.

Ces deux films sont réalisés au moment où l’Italie connaît une croissance économique inédite, se modernise et se hisse au rang de grande puissance industrielle. Pendant ces années du miracle économique, la société se transforme, s’urbanise et découvre la société de consommation et des loisirs. L’entrée dans la prospérité électrise la société tout en la bouleversant. Médiateur entre la réalité et sa perception, le cinéma transpose sur les écrans ces évolutions.

Le cinéma italien connaît aussi un âge d’or. Il bénéficie d’une relève générationnelle succédant à celle de l’après-guerre (celle du néo-réalisme), de l’évolution du goût du public, de la stratégie des producteurs, et d’un déclin du cinéma hollywoodien, au moins dans la péninsule. Ainsi, une comédie à l’italienne naît en 1958 avec Le Pigeon de Monicelli et ne cesse de caricaturer la société. Elle est un miroir où le public aime se regarder vivre.

Pendant les années 1950, deux cinéastes s’imposent dans l’histoire du cinéma transalpin : Federico Fellini et Michelangelo Antonioni. Leurs deux films récompensés à Cannes en 1960 rendent compte du miracle économique et des transformations sociales vues par le prisme des élites tout en proposant un nouveau langage cinématographique.

Fellini et l’invention d’un univers

Inspiré d’événements réels, comme autant de références aux mutations d’une époque, La Dolce Vita peint un tableau sans concession de la société romaine à travers les pérégrinations du journaliste Marcello Rubini souvent flanqué du photographe Paparazzo (nom qui donnera paparazzi). L’image de Marcello Mastroianni et d’Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi qui a fait le tour du monde, est le symbole d’une véritable révolution esthétique. Le film est aussi annonciateur d’un bouleversement des mœurs qui fait de la femme libérée un emblème de la modernité.

La Dolce Vita est un film charnière entre une manière ancienne de faire du cinéma, caractérisée par une continuité narrative, et une nouvelle façon d’agencer le récit en blocs autonomes. Avec La Dolce Vita, puis Huit et demi (1963), les films de Fellini deviennent des mosaïques qui ne prennent forme qu’envisagées dans leur totalité tout en permettant au cinéaste de porter à l’écran un nouvel onirisme très personnel ouvert sur l’inconscient. Cette palme d’or consacre enfin au plan international le talent du réalisateur de La strada (1954). Scandales et polémiques ont jailli aussi bien en Italie (mises en scène dans Divorce à l’italienne de Pietro Germi dès 1961) qu’en France, où Fellini est peu apprécié, sans empêcher un réel succès commercial du film qui est devenu un véritable phénomène au-delà du film.

La modernité cinématographique selon Antonioni

L’Avventura raconte la disparition subite et incompréhensible d’Anna, une jeune femme, et la recherche de celle-ci par Sandro, son futur mari, et Claudia (M. Vitti), son amie. Lors des recherches, Sandro et Claudia tombent amoureux l’un de l’autre, mais la présence/absence d’Anna, qu’ils ne retrouveront pas, empêche le couple de s’aimer.

Avec ce film, premier volet d’une trilogie avec La Notte (1961) et L’eclisse (1962), dans laquelle Monica Vitti et Jeanne Moreau imposent une nouvelle image de la femme, Antonioni plonge le cinéma dans la modernité. Il propose une nouvelle esthétique permettant à la fois approfondissement et élargissement du néo-réalisme d’une part, et une abstraction plus poussée du septième art notamment en reliant image et psychologie des personnages, d'autre part. D’ailleurs, il serait très réducteur de ramener ses œuvres à une simple peinture sociale de la bourgeoisie italienne.

Souvent présenté à tort comme le cinéaste de l’incommunicabilité ou de la crise du monde contemporain, Antonioni s’interroge plus simplement sur les relations hommes-femmes sans y répondre. Que se passe-t-il entre un homme et une femme aujourd’hui ? Ou même, que ne se passe-t-il pas ? Aussi, son art, déconcertant à l’époque, est le support à ces interrogations. Il crée un nouveau langage cinématographique où la dramaturgie classique n’a plus cours. Le malaise inexprimé, l’opacité des sentiments, du monde, tout est confié à la puissance énigmatique de l’image.

Avec L’Avventura, le réalisateur de Ferrare pose les canons de la modernité cinématographique : dissymétrie des regards échangés, champ-contrechamp décalés, découpage de l’espace, isolement des personnages dans leur cadre respectif, mutisme de la scène, objectivation de l’humain…

En 1960, le jury du Festival a saisi l’avenir du cinéma en primant les deux maîtres italiens. La présidence du jury confiée à un écrivain n’est probablement pas sans rapport au palmarès final. L’arrivée de ce cinéma italien très novateur enfièvre un festival rythmé entre huées et hourras. Monica Vitti et Antonioni sortent bouleversés de la première de L’Avventura, face à l’accueil hostile voire houleux. Le film est sifflé par le public qui ne comprend pas pourquoi après la disparition d'Anna, les recherches sont arrêtées. Si les spectateurs s'attendent à voir un film policier, c'est raté. La passion - et un manifeste de signatures défendant le film - conduit le jury à saluer « sa contribution remarquable à la recherche d’un nouveau langage cinématographique ». Le public de Cannes ne semble pas très clairvoyant dans ses goûts cinéphiles puisque même La Dolce Vita est reçu par des sifflets. Peut-être parce que Fellini signe une critique féroce sur ce qui pourrait être Cannes : paparazzi, stars, pseudos-intellos. La lucidité et l’impact des images de Fellini dérangent un cinéma qui puisait dans la littérature. Georges Simenon palme Fellini grand admirateur du père de Maigret.

La présence d’un écrivain à la tête du jury a du fortement contribuer à s’intéresser à de nouvelles formes de narration. 1960 : une palme contestée, dormant encore dans l’ombre de L’Avventura, véritable révélation de l’année ? Quoi qu'il en soit, ce cinquantième anniversaire est une belle invitation à découvrir ou à revoir ces deux films.

1 commentaire:

Tietie007 a dit…

Les deux ont révolutionné le cinéma des années 60, et, curieusement, ils ont été oublié par la Nouvelle Vague ...si moderne, et si attachée à l'académisme des Hitchcock et autre Hawks !