vendredi 11 avril 2008

The Graduate & les "événements de 1968" au grand écran

Les « événements de 1968 » ne limitent pas à la contestation étudiante parisienne. Au cours des années 1960 et 1970, de Berkeley à Tokyo, d’Amsterdam à Mexico, de Rome à Madrid et Varsovie, la jeunesse du monde entier se soulève pour protester contre la guerre du Vietnam, contre la division bipolaire du Monde, contre l’ordre ancien.

Mulitforme, la remise en cause de l’ordre établi émerge aux Etats-Unis au tout au long des sixties pour finir en 1972. La « révolte des campus » prend naissance en Caroline du Nord et s’étend aux Etats du Sud. Des sit-in et manifestations sont organisés pour la défense des droits civiques, puis pour réclamer la fin des essais nucléaires, la liberté d’expression à l’Université, le respect des libertés civiques ou la neutralité envers le régime castriste. La contestation culmine à l’automne 1964 dans l’université californienne de Berkeley où le Free Speech Movement, notamment soutenu par Joan Baez, obtient un assouplissement des règlements universitaires relatifs aux droits d’expression politique sur le campus.

Le film de Mike Nichols est tourné dans ce contexte. Le succès est immédiat après sa sortie en décembre 1967. Le Lauréat est un film moderne qui a marqué une partie de la jeunesse américaine à la fin des sixties. Cette comédie anticonformiste révèle cette époque de tensions sociales entre deux générations, entre celle des parents et celle des étudiants… Marquant une génération de jeunes qui s’est identifiée au personnage central du film Benjamin Braddock, elle s’ancre dans son temps.

Le Lauréat raconte les aventures de Benjamin Braddock (Dustin Hofmann), un étudiant intellectuel, sportif et WASP, un peu paumé, inquiet sur son avenir, qui débute alors une liaison avec Mme Robinson (Anne Bancroft), la femme d’un ami et associé de son père. Mais Benjamin tombe amoureux d’Elaine (Katharine Ross), la fille de Mme Robinson. La mère, jalouse et dépitée, fait tout pour les séparer…

Le scénario traduit les changements au sein de la société américaine à la fin des années 1960. De nombreuses conventions sont enfreintes dans un film qui parle de sexe de façon inédite au grand écran. Le centre de l’histoire est celle d’un étudiant qui a eu une liaison avec la mère de la fille qu’il aime.

L’intrigue se déroule dans un quartier résidentiel paisible de classe moyenne aisée. Le contexte politique et social est peu présent dans le film. Pourtant, les téléspectateurs le connaissent lorsqu’ils assistent aux projections. Il s’agit de l’émergence d’une contre-culture grandissante dans les campus constituée autour de la politisation des universités, de la libération de la femme, de l’égalité entre les races et du pacifisme.

Ce contexte est écarté du film. Juste, une allusion à la « révolte des campus » est présente à travers les propos du propriétaire méfiant vis-à-vis de Ben recherchant à se loger à Berkeley, à travers les images du campus de l’université californienne de Berkeley où a culminé la contestation étudiante entre 1964-1965. La guerre du Vietnam et les autres événements sont évacués…

En revanche, le Lauréat témoigne des interrogations d’une partie de la jeunesse à la fin des sixties. Les jeunes de l’époque ne ressentent plus le besoin d’apprendre un métier dit convenable, conformiste. Ils ne veulent pas du legs de leurs parents ; ils veulent autre chose : la fin de la guerre, la libération sexuelle, une volonté d’expériences nouvelles, une volonté de changer le monde. Les questions posées par les jeunes sont différentes, nouvelles que celles des parents. La jeunesse est face à un avenir incertain. Le héro appartient à cette génération.

Le personnage de Ben Braddock incarne les évolutions de son temps. Lors de sa conversation avec son père dans sa chambre au début du film, il se demande s’il doit suivre la tradition familiale ou faire autre chose de sa vie. Le choc des générations est visible. L’interprétation sobre de Dustin Hofmann transforme le personnage de Ben timide en un homme courageux. Le physique de Dustin Hofmann proche de Monsieur Tout le Monde facilite l’identification du héro par le téléspectateur.

Elaine incarne aussi ces changements. Son arrivée à l’université de Berkeley transforme l’étudiante qui s’habille différemment, adopte une démarche et une attitude générale nouvelles. Mais elle n’a pas encore choisi entre les deux univers qui s’offrent à elle. Seul Ben peut la faire sortir du passéisme.

Mrs Robinson représente les aspirations des femmes de son temps qui veulent s’affranchir des conventions établies. Sauf qu’elle n’y est pas parvenue, peut-être sa fille… Elle porte un regard amère sur sa vie contrariée (pour ne pas dire gâchée) par une grossesse non désirée qui l’a contraint à arrêter ses études d’histoire de l’art, donc à renoncer à la vie active, au profit d’une vie bourgeoise.

La musique du film notamment composée par Paul Simon et interprétée par Simon & Garfunkel accompagne tous ces bouleversements. L’album de la bande originale du film est disque d’Or en 1968. La chanson Mrs Robinson est n°1 au hit parade pendant 4 semaines. Elle domine les Grammy Award de 1968, raflant les prix de disque de l’année, de meilleure interprétation pop chantée par un groupe et de meilleure chanson originale pour un film ou un programme de télévision. The Sound Of Silence est l’autre tube du Lauréat.

Le film montre bien la contestation du statu quo politique et social. Cette contestation s’enracine dans une contre-culture dont les modes d’expression circulent facilement d’un pays à l’autre et contribuent sans doute à cimenter pour une partie de la jeunesse une identité commune… à l’image des grands festivals de pop music rassemblant des milliers de jeunes comme celui de Woodstock en 1969 ou de certains films de l’époque ou récents…

Les « événements de 1968 » apparaissent au grand écran dans…

- Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni (1970) sur les troubles étudiants des années 1960 au cinéma.

- The dreamers (Les innocents) de Bernardo Bertolucci (2003) sur les événements parisien de mai 1968.

- La meglio gioventù (Nos meilleures années) de Marco Tullio Giodarna (2003) présente cette jeunesse contestataire dans l’Italie des années 1960-1970.

- Hair de Milos Forman (1979) sur le mouvement hippie et la guerre du Vietnam.

Bibliographie :

- ARTIERES P., ZANCARINI-FOURNEL M. (dir.), 68 une histoire collective, Paris, La Découverte, 2008.

- DREYFUS-ARMAND G., FRANK R., LEVY M.-F., ZANCARINI-FOURNEL M. (dir.), Les Anneés 68, Bruxelles, Complexe-IHTP-CNRS, 2000.

- SIRINELLI F., Mai 68, Paris, Fayard, 2008.

- « Mai 68 en débats », Parlement[s], n°9, avril 2008.

- Dossier « MAI 68 le monde tremble », L’Histoire, n° 330, avril 2008.

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