Par Charlotte Lepri, chercheuse à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) - IRIS, 5 mai 2008.
Ce sont des primaires hors normes.
Depuis plusieurs mois, chaque primaire dans le moindre Etat de l’Amérique est scrutée avec la plus grande attention. A chaque fois, le moment est présenté comme décisif.
Après la Pennsylvanie, c’est au tour de l’Indiana de focaliser toutes les attentions et tous les regards dans ces interminables primaires démocrates. Moment furtif de gloire pour ces Etats qui habituellement avaient très peu de poids dans les primaires, et qui venaient souvent confirmer la tendance définie par les premiers Etats votant, tels que l’Iowa ou le New Hampshire. En effet, les Primaires n’ont jamais été faites pour choisir jusqu’au bout le futur candidat. Habituellement, l’issue est connue dès le début du printemps. Les Primaires sont avant tout un moyen de tester la popularité des différents candidats, leur capacité à mener une campagne et à incarner le rôle de Président. Au fur et à mesure, les candidats les moins populaires sont amenés à se retirer, et choisissent pour la plupart de rallier un autre candidat. Généralement, deux ou trois défaites successives suffisent à briser la dynamique d'un candidat et deux ou trois victoires décisives permettent de faire émerger le futur représentant du parti à l’élection.
De même, les Conventions nationales des deux partis, qui cette année se tiendront fin août pour les Démocrates et début septembre pour les Républicains, ont pour principaux objectifs d'approuver le programme politique du parti et d'accepter le choix du candidat et de son colistier. Ce sont avant tout des grandes messes politiques, qui ne sont pas faites pour choisir le candidat.
Si ces primaires sont hors normes, elles ne sont pas non plus tout à fait exceptionnelles. A d’autres périodes de l’histoire américaine, la bataille des primaires a été rude entre les candidats.
En 1964, le parti Républicain était déchiré entre conservateurs et modérés. La bataille des primaires opposa Barry Goldwater, représentant de la faction conservatrice, et Nelson Rockefeller, représentant de la faction modérée. Plus qu’un choix de candidat, il s’agissait de choisir la ligne du parti Républicain dans un pays alors secoué par la question des droits civiques et de la guerre du Vietnam, et à peine remis de l’assassinat de John F. Kennedy. Barry Goldwater ne s’imposa que lors des primaires du 2 juin en Californie. Le candidat démocrate, Lyndon Johnson, remporta l’élection avec une large avance.
Les élections de 1976, qui suivirent le scandale du Watergate et la démission de Richard Nixon, opposèrent dans le camp républicain le Président sortant, Gerald Ford, et Ronald Reagan, le leader populaire de l’aile conservatrice du parti. Le Parti Républicain fut très divisé par des primaires qui s’éternisaient et par un combat féroce entre Reagan et Ford, au point que le choix du candidat n’était toujours pas tranché au moment de la Convention nationale en juin. Ford fut finalement nommé, et perdit l’élection générale contre Jimmy Carter.
En 1984, Ronald Reagan, Président sortant, n'avait pas d'adversaire dans son parti. Aussi, tout s'est joué du côté démocrate entre Walter Mondale, l’ancien Vice-Président de Jimmy Carter et le favori des primaires, Jesse Jackson, le défenseur des droits civiques, et Gary Hart, qui se présentait comme un démocrate modéré et candidat du renouveau. Jesse Jackson se retira assez rapidement, mais Hart remporta des primaires décisives, le permettant d’émerger comme un sérieux concurrent à Mondale. La bataille entre les deux candidats fut âpre, et ne se termina qu’en juin, à quelques jours de la Convention, par la victoire de Walter Mondale. Ce dernier perdit l’élection face à Reagan.
Le point commun entre ces différents exemples est frappant : le parti qui est confronté à des primaires très disputées est défait lors de l’élection générale. S’il ne faut pas voir ici une situation inexorable, des primaires interminables sont souvent symptomatiques d’un véritable débat de fond quant à l’orientation à donner au parti ou la définition d’une ligne claire. Les débats entre les candidats sont souvent le reflet des profondes divisions entre militants et entre élus. Alors que la nécessité est plutôt de ressouder un parti qui se cherche, les divisions entre factions exacerbent les tensions entre les candidats durant les primaires.
En outre, de longues primaires sont pénalisantes pour la future équipe de campagne du candidat : le retard dans la mise en place de l’équipe en charge de la campagne générale, dans une campagne hautement médiatisée qui laisse peu de place à l’amateurisme et au manque de préparation, peut largement hypothéquer les chances de victoire du parti.
Enfin, les questions financières, qui sont d’une importance capitale, deviennent un enjeu de taille pour le parti qui, du fait des longues primaires, doit solliciter à de nombreuses reprises les donateurs. La prolongation du combat, souvent, comme on le voit actuellement, à coup de publicités négatives, épuise et lasse les donateurs.
La confrontation entre Hillary Clinton, candidate expérimentée issue de l’establishment washingtonnien, et Barack Obama, porte-drapeau d’une nouvelle génération politique, reflète la césure au sein du parti Démocrate. Au point que 30% des supporters d’Hillary refuseraient de voter pour Obama s’il était choisi, et 22% des supporters d’Obama refuseraient de voter pour Hillary.
Les prochaines primaires ne permettront pas de départager mathématiquement Barack Obama d’Hillary Clinton. L’objectif pour les deux candidats est aujourd’hui de montrer lequel des deux est le mieux placé pour battre John McCain en novembre prochain, afin de rallier à eux le plus grand nombre de superdélégués.
Les résultats de la plupart des prochains Etats amenés à tenir leurs primaires risquent de ne pas trop créer de surprise : la Caroline du Nord, l’Oregon, le Montana ou le Dakota du Sud sont plutôt donnés favorables à Barack Obama, tandis qu’Hillary Clinton est avantagée en Virginie Occidentale, au Kentucky ou à Puerto Rico. Le dernier Etat clé, où l’indécision est la plus grande, est l’Indiana. Hillary Clinton y était jusqu’à il y a peu donnée favorite, mais Barack Obama voit sa popularité grandir dans cet Etat du Midwest considéré comme un bastion conservateur, et rattrape ainsi son retard dans les sondages.
Une victoire d’Obama dans l’Indiana pourrait permettre de trouver une issue avant juin, date limite fixée par Howard Dean, président du parti Démocrate. Ce dernier, qui craint les effets dévastateurs pour le parti que pourrait avoir une campagne jusqu’en août, a décidé que l'un des deux candidats devra abandonner la course à l'investiture pour la présidentielle après les primaires de juin pour permettre d'unifier le parti et de remporter le scrutin de novembre.
La paradoxe, dans cette campagne réputée « imperdable » pour les démocrates suite à deux mandats d’un George W. Bush à la côte de popularité au plus bas, serait finalement de voir un parti avec deux excellents candidats perdre face au moins mauvais des candidats républicains.
Source : http://www.iris-france.org/Tribunes-2008-05-05.php3
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