jeudi 28 octobre 2010

Cerrone, Supernature, 1977 (2/3)

La musique de Cerrone illustre à certains égards les changements qui s’opèrent dans la deuxième moitié des années 1970. Elle est une contribution majeure à l’avènement du disco qui apparaît aux Etats-Unis en 1975.

Dans un article titré « Disco Fever » (28 août 1975), Vince Aletti, journaliste au magazine Rolling Stone, évoque la nouvelle musique écoutée dans les clubs. Il note que le R&B des sixties, dominé par le son Motown de Detroit, a définitivement évolué vers un son plus complexe, plus soigné, plus structuré, aux rythmes de plus en plus soutenus et appropriés pour la danse. C’est à Philadelphie qu’apparaît ce nouveau son, luxueux, riche en arrangements et en innovations mélodiques immédiatement reconnaissables, marqué par des tonalités souvent jazzy. Le Philadephia sound change la perception de la musique noire aux Etats-Unis qui attire en masse le public blanc américain. Si Vince Aletti reste réservé sur l’avenir de cette musique nouvelle, il prévoit une saturation rapide du genre, lequel est déjà victime d’une lucrative récupération de l’industrie du disque. Il sent aussi que la vraie disco n’est pas encore tout à fait née, mais ne sait pas encore que c’est la Vieille Europe qui va la porter à son apogée avec des artistes comme Giorgio Moroder, l’Américaine d’adoption Donna Summer, Marc Cerrone…

En 1975, la voix sensuelle de Donna Summer explose dans les charts avec son érotique et lancinant Love To Love You Baby. Le morceau dure 15 minutes. Cette balade a été composée à Munich par Giogio Moroder. La légende raconte que la version originale de Love To Love You Baby, envoyée par Moroder à Neil Bogart, président de Casablanca Records faisait environ 5 minutes. Une fois reçue, Neil Bogart a souhaité tester l’accueil du titre auprès de ses amis lors d’une soirée privée. Sa femme passe le morceau une première fois, et devant la réaction positive des invités qui dansent, la rejoue trois fois de suite sans interruption. Face à ce succès, dès le lendemain, Neil Bogart contacte Giorgio Moroder pour lui demander de rallonger le morceau pour en faire une version de 15 minutes environ. Au même moment, outre-Atlantique, Tom Moulton crée le principe des versions allongées des chansons plus adaptées à la diffusion en club (voir ci-dessous).

Donna Summer, Love To Love You Baby, 1975

Love To Love You Baby annonce le premier succès de Marc Cerrone enregistré au studio Trident à Londres en 1976. Love In C Minor lance sa carrière solo par hasard. Suite à une erreur de manutention chez un vendeur de disques des Champs Elysées, 300 copies du vinyle Love In C Minor, décoré d’une pochette provocante afin d’attirer l’attention, sont expédiées à New York à l’automne 1976. Le son Cerrone et l’ambiance dégagée par la musique font alors immédiatement un carton dans la grande pomme sans que le compositeur et interprète français ne le sache.

Cerrone, Love In C Minor, 1976


Love In C Minor / CERRONE
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Le son Cerrone et les 16 minutes et 13 secondes de son « extatique odyssée musicale » sont trop avant-gardistes pour les majors françaises qui feignent d’ignorer ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique et qui ne s’intéressent pas à la musique qui se joue alors dans les clubs. Cerrone produit donc lui-même son album.

Aussi, le disco est indissociable d’un nouveau support musical : le maxi 45 tours. Créé pour l’usage professionnel des DJs New-Yorkais dans le milieu des années soixante-dix, le Maxi 45-tours reste à ce jour, le seul support né, non pas d’une technologie, mais d’un véritable besoin artistique. Il s’agit d’un disque microsillon (ou disque vinyle) au format de 30 centimètres (12 inch en anglais) plus grand que le 45 tours. Il contient en principe un titre ou deux par face, soit un titre original avec ses remix, voire parfois un inédit. Le 12 inch s’avère alors le format idéal pour le disco. Il permet de soutenir son développement puisque les chansons sont beaucoup plus longues que celles de la pop. Il répond aussi aux attentes des DJs qui recherchent une meilleure qualité sonore pour leurs soirées.

Le premier maxi 45-tours, en réalité d'un format de 25 cm, est créé par hasard. Tom Moulton, producteur américain à l’origine du remix, a besoin d'un pressage test d'un morceau qu'il souhaite passer le soir même dans son club. Il veut la première version allongée (extended mix) de I’ll Be Holdin’ On d’Al Downing (1974). Comme l'ingénieur du son, Jose Rodriquez, n'a plus de support de 17 cm, il suggère d'utiliser un support de 25 cm, en espaçant plus les sillons. Tom Moulton constate alors l'amélioration du niveau dynamique des basses, et généralise le principe.

L’objectif des remix lancés par Tom Moulton est de scotcher le public sur le dancefloor afin de le faire vibrer. Il s’aperçoit que les danseurs entrent en transe qu’au bout de trois minutes trente, soit la durée d’un titre 45 tours. Son idée consiste à allonger la chanson en multipliant par deux sa durée. Après avoir analysé la structure d’une chanson, la mise en place de chaque instrument, Tom Moulton refaçonne alors entièrement le mix, les enchaînements, après avoir allongé la durée de chaque piste. D’une intro de quinze secondes, il arrive à une minute puis introduit un à un chaque instrument jusqu’à la partie chantée, allonge les couplets et les refrains avec de l’instrumental, allonge le pont musical, et au final se retrouve avec une chanson dont la durée oscille entre cinq et six minutes.

Avec I’ll Be Holdin’ On naissent les versions extended mix spécialement créées pour les clubs et qui perdurent encore aujourd’hui. La dance music émerge avec Tom Moulton et prend son essor notamment avec Georgio Moderer, Donna Summer, Marc Cerrone…

Bibliographie sélective

Cerrone, … Et pourquoi pas la lune !, Paris, Jacques-Marie Laffont Editeur, 2004, 288 p.

Patrick Roulph, 12’’/33-45 RPM, Paris, Patrick Roulph Editions, 2007, 148 p.

Peter Shapiro, Turn The Beat Around. L’histoire secrète de la disco, Paris, Editions Allia, 2008, 428 p.

Philippe Chassaigne, Les années 1970. Fin d'un monde et origine de notre modernité, Paris, A. Colin, 2008, 367 p.

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