samedi 9 octobre 2010

Sloop John B des Beach Boys : le triomphe du modèle américain (L'autre visage de la guerre du Vietnam 2/4)

Sloop John B des Beach Boys : le triomphe du modèle américain

Durant la guerre du Vietnam, les émissions de radio ont joué un rôle important pour les GIs engagés. Pour un soldat américain, chaque jour de survie signifie un jour de moins là-bas et un jour gagné sur le retour prochain. La radio aide à passer les journées et participent à maintenir le moral des troupes. Les émissions distraient et rappellent le pays. Elles diffusent les tubes et les artistes qui connaissent un succès aux Etats-Unis pendant les années 1960 comme The Beach Boys, The Beatles, Elvis Presley, Petula Clark, Simon & Garfunkel, The Rolling Stones, The Supremes, Aretha Franklin, Martha reeves & The Vandellas, The Mamas & The Papas, etc[1]… Elles opèrent aussi une forme de censure en évitant d’émettre les chansons liées à la contre-culture réclamant la paix.

Les progrès de la société de consommation et de la miniaturisation s’accompagnent de la vente à bon marché de petits transistors portables rendant possible l’écoute des émissions de divertissements mais aussi les informations, les reportages sportifs, les événements nationaux, maintenant un lien entre le Vietnam et les Etats-Unis. Ainsi, partout, les GIs peuvent écouter les stations du réseau des forces américaines au Vietnam (American Forces Vietnam Network – AFVN)[2].

Parmi les chansons les plus populaires émises sur les ondes d’AFVN en 1966 se distingue Sloop John B interprétée par les Beach Boys, septième titre extrait de leur album Pet Sounds. Cette chanson est d’abord sortie en single le 21 mars 1966 quelques semaines avant l’album et s’est hissée à la troisième place du Billboard Hot 100 en mai[3]. Elle a connu un succès mondial occupant la tête des hits parades notamment en Allemagne, Autriche, Norvège, en Afrique du Sud et en Nouvelle Zélande. Elle demeure l’un des titres les plus populaires et les plus mémorables du groupe californien.


THE BEACH BOYS-SLOOP JOHN B
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A l’origine de ce titre, une chanson populaire traditionnelle des Caraïbes. Le John B. était un bateau à une voile dont l'équipage avait la réputation de devenir particulièrement joyeux quand il rentrait au port. La douceur de la partition et le jeu des couleurs sonores nous entraînent bien loin des atrocités quotidiennes de la guerre. D’ailleurs, le thème du retour a du avoir une résonnance particulière auprès des GIs.

Sloop John B (traditionnel, arrangement Brian Wilson)

We come on the sloop John B

My grandfather and me

Around Nassau town we did roam

Drinking all night

Got into a fight

Well I feel so broke up

I want to go home

So hoist up the john bs sail

See how the mainsail sets

Call for the captain ashore

Let me go home, let me go home

I wanna go home, yeah yeah

Well I feel so broke up

I wanna go home

The first mate he got drunk

And broke in the capns trunk

The constable had to come and take him away

Sheriff John Stone

Why don't you leave me alone, yeah yeah

Well I feel so broke up I wanna go home

So hoist up the john bs sail

See how the mainsail sets

Call for the captain ashore

Let me go home, let me go home

I wanna go home, let me go home

Why don't you let me go home

(hoist up the john bs sail)

Hoist up the John B

I feel so broke up I wanna go home

Let me go home

The poor cook he caught the fits

And threw away all my grits

And then he took and he ate up all of my corn

Let me go home

Why don't they let me go home

This is the worst trip Ive ever been on

So hoist up the john bs sail

See how the mainsail sets

Call for the captain ashore

Let me go home, let me go home

I wanna go home, let me go home

Why don't you let me go home

Nous sommes arrivés sur le sloop John B

Mon grand'père et moi

Nous nous sommes baladés dans de (la ville de ) Nassau

On a bu toute la nuit

On s'est mis dans une bagarre

Oh, je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Alors hissez la voile du John B

Voyez comment la voile principale se gonfle,

Faites venir le capitaine, il est en ville

Laissez-moi rentrer chez moi x2

Je veux rentrer chez moi

Oh je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Le premier matelot s'est saoûlé

Il a forcé le coffre du capitaine

La police a du venir le chercher

Sheriff John Stone,

Pourquoi ne me laissez-vous pas tranquille ?

Je me sens tellement mal je veux rentrer chez moi

Alors hissez la voile du John B

Voyez comment la voile principale se gonfle,

Faites venir le capitaine, il est en ville

Laissez-moi rentrer chez moi x2

Je veux rentrer chez moi

Oh je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Le pauvre cuisinier a fait une crise,

Il a jeté toutes mes cigarettes

Puis il a pris et mangé tout mon maïs

Laissez-moi rentrer chez moi

Pourquoi on ne me laisse pas rentrer chez moi ?

C'est le pire voyage que j'ai jamais fait ?

Alors hissez la voile du John B

Voyez comment la voile principale se gonfle,

Faites venir le capitaine, il est en ville

Laissez-moi rentrer chez moi

Je veux rentrer chez moi

Oh je me sens tellement mal

Je veux rentrer chez moi

Ce titre est représentatif de la génération qui a servi au Vietnam. L’âge moyen des soldats est de 19 ans, et selon certains chiffres 90% d’entre eux avait moins de 23 ans. Les GIs sont venus avec leurs goûts musicaux. Le rock est le genre le plus populaire. En 1963-1965, les Beach Boys s’imposent comme le premier groupe américain. Depuis 1961, ils collectionnent les disques d’or, dont Surfin’USA, I Get Around, Barbara Ann…

Certes Sloop John B est la reprise d’une chanson traditionnelle, personnalisée à travers une harmonisation propre aux Beach Boys. Dans ce conflit localisé de la Guerre froide, écouter et entonner cette chanson du côté des GIs contribue à réaffirmer le modèle américain tout en justifiant ainsi la cause combattue (un modèle fondé sur le libéralisme politique et économique, sur la société de consommation). En effet, mieux que personne, les Beach Boys symbolisent l’American Way Of Life et la génération du baby-boom. « Ils incarnent l’Amérique opulente des années 1960, où le monde est une plage de sable blanc inondée de soleil, bercée par les rouleaux de l’océan sur lesquels ondulent les planches de robustes gaillards bronzés. Ils chantent la jeunesse triomphante, les virées en bagnole sur les corniches de Californie, le surf et les flirts sur la plage au clair de lune »[4].

Pour les Beach Boys, 1966 correspond à la fois à l’apogée du groupe et au début de sa dégringolade. Sorti après Sloop John B, Good Vibrations (http://www.youtube.com/watch?v=TCeD_6Y3GQc) offre au groupe californien le succès mondial de 1966, devançant même les Beatles dans les classements en Grande-Bretagne. Ce sera leur dernier grand succès[5].

Le disque est lancé le 10 octobre 1966, alors que la vague hippie commence à déferler sur l’Amérique. Le succès est gigantesque, mais l’euphorie de courte durée. Le triomphe de Good Vibrations cache l’échec de l’album Pet Sounds sorti en mai 1966, ce concept album incompris du grand public par les innovations sonores introduites. Brian Wilson, leader du groupe, commence alors à souffrir de cette dépression qui, au fil des décennies, le conduira plus d’une fois au fond du gouffre.

« Dès l’année suivante, les Beach Boys feront d’ailleurs les frais de la contestation naissante de la jeunesse américaine. Ces teenagers blonds, un peu trop beaux, un peu trop sains, ne correspondent plus à cette Amérique qui envoie ses soldats par milliers au Vietnam se défoncer pour échapper à l’angoisse et à l’absurde. Pour les Beach Boys, c’est le début d’une éclipse qui durera jusqu’en 1988 »[6]. Pourtant, en 1995, presque trente ans après sa sortie, un panel de musiciens, de compositeurs et de producteurs réunis par le magazine britannique MOJO l'a élu « plus grand album jamais créé ». En 2003, le magazine Rolling Stone le déclare « deuxième meilleur album de tous les temps » juste après Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles.

A croire que l’insuccès des Beach Boys à la fin des années 1960 annonce les doutes qui envahissent la société américaine ainsi que la déroute américaine au Vietnam…



[1] Cette liste non exhaustive s’appuie essentiellement sur la playlist des chansons les plus populaires diffusées sur AFVN entre 1965 et 1971 établie par le Casper Avation Platoon sur le site officiel : http://www.casperplatoon.com/VietnamWarMusic.htm Elle se base aussi sur la playlist établie par Ken Kalish à partir de documents originaux de l’AFVN (ici deux pages sur 20 concernant l’année 1969) http://members.fortunecity.com/parker4/play.html

[2] http://home.earthlink.net/~bfwillia/index.html L’AFN est le nom commercial utilisé par l’armée américaine pour désigner les services radio et tv développés par le Département de la guerre.

[3] Sloop John B. a été classé numéro 271 sur Rolling Stone liste s 'des 500 plus grandes chansons de tous les temps.

[4] Bruno Icher, « Goods Vibrations, les Beach Boys et l’appel des vibes », dans Libération, 1er juillet 2010.

[5] Cette chanson est classée 6e meilleure chanson de tous les temps selon le magazine Rolling Stone , et 3e meilleure chanson de tous les temps selon le site Acclaimed Music. Sortie d’abord en format 45 tours, elle paraît sur l’album Smiley Smile (1967)

[6] Bruno Icher, op. cit.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le titre n'est pas "Stop John B" mais "Sloop John B". C'est Al Jardine, membre du groupe, qui a suggéré aux Beach Boys d'adapter cette chanson. Avant de faire partie du groupe, il avait fondé un groupe, The Islanders qui reprenait les chansons du groupe Kingston Trio dont Al était très fan. Mais Kingston Trio n'a pas composé cette chanson, c'est un traditionnel, comme indiqué dans votre article.