jeudi 28 octobre 2010

Cerrone, Supernature, 1977 (1/3)

Supernature est à la fois le titre d’un album et d’une chanson sortis en 1977. Ce troisième opus de Cerrone, souvent surnommé pape du disco, a marqué l’histoire de la musique. Il est aussi un marqueur des évolutions socio-culturelles qui touchent les pays d’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis, probablement l’un des seuls albums disco, voire le seul, porteur d’un véritable « discours » sur son époque. Le titre Supernature révèle la naissance d’une musique nouvelle qui s’ancre dans la société des loisirs en plein développement tout en exprimant les angoisses liées aux évolutions des années 1970.


Pour l’historien Philippe Chassaigne, les années 1970 correspondent à la fin d’un monde hérité de la fin de la Seconde Guerre mondiale et à l’entrée dans la modernité actuelle. C’est l’émergence d’un monde déstabilisé au plan des relations internationales (nouvelle guerre froide, révolution islamique en Iran, début des trente piteuses) à la fois globalisé et multipolaire, dans lequel les pays occidentaux amorcent le passage d’une société industrielle à un monde post-industriel.

Ce monde en mutation a marqué aussi bien les esprits des contemporains que la mémoire. Le terme « crise », qui prend d’ailleurs des formes multiples, est souvent associé à cette décennie. La mémoire collective retient volontiers certains traits négatifs de la période : chocs pétroliers, inflation, montée du chômage, grèves à répétitions, attentats perpétrés par les terroristes palestiniens, gauchistes, fascistes, irlandais, basques, corses ou encore bretons, scandales politiques dans quasiment tous les pays industrialisés. Le style seventies est également raillé notamment pour ses goûts dont les couleurs vives et bariolées.

Pendant cette décennie, la recherche scientifique connaît un impressionnant développement : découverte de « Lucy » en 1974, fondements de la télématique et de l’Internet, naissance des ordinateurs avec la disquette et le microprocesseur, que peut symboliser la naissance d’Apple en avril en 1976. Le futur, le progrès, la modernité sont autant de clés essentielles à la création.

Au plan culturel, on observe notamment une importance croissante des loisirs. La musique évolue. Le rock, même rénové, ouvre une brèche au « moment punk » dont les origines remontraient à 1972 avec le seul concert britannique des Stooges. Pourtant, peu à peu, la génération « moi, moi, moi » de la « Me Decade » (expression de l’auteur Tom Wolfe pour désigner les années 1970), tend à se ranger, en adoptant des vêtements de moins en moins exubérants, en découvrant les joies de l’exercice physique, mais aussi en prenant le disco comme « bande sonore ».

Ce monde en mouvement interroge donc les contemporains soulevant parfois quelques craintes face à l’avenir. On comprend mieux ainsi l’explosion du phénomène des night-clubs et la place primordiale prise par les DJs qui deviennent les instigateurs incontournables d’une danse aux rythmes endiablés. Ces soirées urbaines sont autant de moments privilégiés pour s’évader d’un quotidien pesant, voire anxiogène. Elles rencontrent un écho particulier dans la nouvelle société des loisirs. Elles sont indissociables d’un genre musical nouveau, le disco, dont les origines se situent à Philadelphie et dont le développement et le succès demeurent étroitement liés aux Européens. Dans ces nouveaux lieux de sociabilité offrant à un moment de défoulement musical et d’affirmation de soi, se côtoient les comportements les plus extrêmes mêlant sexe et drogue, prolongeant la vague libertaire de 68 au moment où le rock semble s’essouffler.

Suite dans un prochain post…

Bibliographie sélective

- Cerrone, … Et pourquoi pas la lune !, Paris, Jacques-Marie Laffont Editeur, 2004, 288 p.

- Peter Shapiro, Turn The Beat Around. L’histoire secrète de la disco, Paris, Editions Allia, 2008, 428 p.

- Philippe Chassaigne, Les années 1970. Fin d'un monde et origine de notre modernité, Paris, A. Colin, 2008, 367 p.

- Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, Histoire culturelle de la France, Tome 4 : Le temps des masses. Le vingtième siècle, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 2005, 505 p.

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