vendredi 14 mars 2008

D. G. Rossetti, Ecce Ancilla Domini (1850)

Dante Gabriel Rossetti, Ecce Ancilla Domini, 1850, 73 x 41,9 cm, Tate Gallery, London.


Cette Annonciation de Rossetti m’interpelle. Expression du visage, attitude naturelle pour un événement extraordinaire, la représentation toute humaine de Marie subjugue la toile & ne laisse pas indifférent son contempleur…

Si le tableau s’inscrit dans une longue tradition iconographique apparue à la Renaissance, l’artiste prend quelques distances avec la représentation traditionnelle de la visite de l’archange Gabriel à la Vierge Marie, au point de scandaliser ses contemporains.

Retour sur l’histoire d’un tableau et présentation de quelques clés de lecture.

Rossetti, peintre préraphaélite

Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) est un peintre et poète anglais, né à Londres. Il étudie à l’Académie royale de Londres où il rencontre Holman Hunt et John Everett Millais. Ensemble, ils fondent en 1848, en réaction à la peinture académique, la Confrérie préraphaélite. L’année suivante, Rossetti expose L’enfance de la Vierge et apparaît comme le chef de file d’une nouvelle peinture où l’esthétique exprime un état d’esprit. Dès 1852, il s’éloigne de la confrérie et peint des œuvres inspirées par les légendes médiévales dans un style où la perfection du dessin s’associe parfois à des couleurs criardes d’une sensiblerie affectée.

Rossetti participe donc à l’un des nombreux courants artistiques du XIXe siècle (nazaréens, préraphaélisme, romantisme, orientalisme, réalisme…). Les préraphaélites jouent un rôle important dans l’art religieux auquel ils ont consacré une grande partie de leur production, sans limiter ce mouvement à cet unique aspect religieux. D’ailleurs, l’évolution du préraphaélisme demeure complexe.

L’origine du mot préraphaélite est attribuée à Holman Hunt qui critique les formes utilisées par Raphaël dans sa Transfiguration. L’Académie fut scandalisée par la critique d’un peintre qu’elle considère comme un modèle universel et Hunt appela préraphaélite sa recherche picturale et celle de ses amis. L’idéal pictural serait de retrouver l’art d’avant Raphaël.

D.G. Rossetti est plus le plus religieux des préraphaélites. Sa sensibilité mystique trouve dans les recherches du groupe un moyen pour peindre sa foi. En 1849, il achève L’enfance de la Vierge. Il s’agit de la première peinture préraphaélite qui doit être présentée à l’exposition de l’Académie royale. Craignant un refus, l’artiste expose sa toile à la galerie de Hyde Park qui ouvre ses portes cinq jours avant. Le tableau, signé pour la première fois PRB (Pre-Raphaelite Brotherhood), scandalise par son décor. Un paysage est introduit par le biais d’une fausse fenêtre et un personnage cueille des fruits sur un arbre. La scène est insolite malgré tous les symboles : la colombe, le lys et l’ange dont les ailes rouges ont pu choquer.

Ecce Ancilla Domini

Ecce Ancilla Domini (« voici la servante du Seigneur ») est réalisé en 1850 avec d’autres œuvres religieuses du mouvement préraphaélite, toutes véritable tentative d’innovation picturale et religieuse. Ce nouveau tableau de Rossetti, ainsi que Le Christ dans sa maison de ses parents ou la boutique du charpentier de Millais, Les prêtres chrétiens chassés par les persécutions des druides de Hunt et Le Renonciation d’Elisabeth de Hongrie de Collinson, soulèvent une vraie tempête à l’Académie royale. L’Angleterre semble rebelle à l’art sacré, délaissé depuis la Réforme protestante, et demeure méfiante envers une peinture religieuse qui s’associe mal à son puritanisme. L’Académie royale ne comprend pas ces tableaux peints sans respecter les techniques propres aux classiques : couleurs vives, géométrie des formes accentuées, paysages recomposés dont la lumière semble artificielle, fausses perspectives chères aux primitifs italiens…

Paradoxalement, les œuvres qui provoquent les plus vives polémiques, Ecce Ancilla Domini renommée Annonciation, L’enfance de la Vierge, et La Boutique du charpentier sont diffusés en Europe à des milliers d’exemplaires tout au long du siècle.

Ecce Ancilla Domini a choqué ses contemporains par la façon de présenter l’annonciation et par la technique picturale. La structure médiévale et la construction inhabituelle de la perspective s’opposent à l’enseignement académique. La composition traditionnelle est déséquilibrée et met en scène un ange dominateur qui occupe presque la moitié de l’œuvre. Cet ange porte un message qui effraie littéralement une Marie frébile.

- Mouvement de recul, fixité du regard dans le vide exprime le trouble de la Vierge Marie

- l’ange tient dans les mains une tige de lys : cette fleur est le symbole de la pureté virginale de Marie, mais l’iconographie de l’Annonciation en a fait l’un des attributs caractéristiques de l’archange Gabriel

- S’écartant d’une longue tradition iconographique, Rossetti représente l’archange Gabriel sans ailes, et lui ajoute une innovation intéressante : des flammes sous les pieds

- Toujours, selon la tradition iconographique, la colombe de l’Esprit saint qui « étend son ombre » sur la Vierge Marie, accompagne l’archange dans sa mission

Dans cette œuvre, Rossetti crée d’une certaine manière un nouveau modèle pour la Vierge, emprunt de modernité : la mince silhouette craintive et le visage mystérieux et pénétrant d’intensité représentent peut-être l’inquiétude du siècle. Cela explique peut-être le succès populaire de l’œuvre les années suivantes.

Toutefois, il faut noter un élément au premier plan à droite pour mieux comprendre le tableau : une sorte de manteau rouge posé verticalement sur une planche de bois accompagné d’une fleur de lys inversée, avec des ramifications rampantes en forme d’épines. Une référence au funeste présage de la Passion et en particulier l’épisode appelé Ecce Homo, où le Christ humilié, porte un manteau rouge et une couronne d’épines.

Que faut-il comprendre ? L’artiste veut souligner le lien direct qui existe entre deux épisodes pourtant séparés de plusieurs décennies : l’Annonciation et la Passion du Christ. Ici, il n’y a pas de sérénité, c’est le doute et le flou que ravage une Marie perplexe. Veut-elle vraiment être à l’origine de tant de souffrance ? Et c’est bien Elle au final, la servante du Seigneur, comme le rappelle le titre.

Bibliographie

- L. DES CARS, Les préraphaélites. Un modernisme à l’anglaise, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, 1999, 128 p.

- R. GIORGI, Anges et démons, Paris, Hasan, coll. Guide des arts, 2004, 384 p.

- M. RAPOPORT (dir), Culture et religion. Europe – XIXe siècle, Paris, Atlande, coll. Clefs concours, 2002, 767 p.

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