mardi 25 mars 2008

« La race est une question que notre nation ne peut éluder » Barack Obama

La polémique née des propos controversés de l'ex-pasteur, Jeremiah Wright, qui a célébré le mariage de Barack Obama et baptisé ses deux filles, a permis au sénateur de l’Illinois de montrer aux Américains sa stature de futur président des Etats-Unis en prononçant un discours parfois qualifié d’historique.

Ce moment fort de la campagne 2008 s’est déroulé à Philadelphie, une ville hautement symbolique. Le sénateur de l’Illinois a ainsi inscrit son action dans la continuité des Pères fondateurs des Etats-Unis. La Convention de Philadelphie proclama l'indépendance et prépara la Constitution. Elle se référait à une philosophie politique, mélange de foi chrétienne et d'esprit des Lumières. Elle n'en accepta pas moins la poursuite de l'esclavage, qui a été à l'origine de la guerre civile, dite guerre de Sécession, au milieu du XIXe siècle.

Dans un discours prononcé mardi 18 mars 2008, Barack Obama a été contraint d’aborder le thème de la question raciale jusqu’alors évacuer de sa campagne. Par le ton sobre, franc et son charisme habituel, il a su convaincre et remobiliser une partie de son camp.

Tout en récusant les propos de l’ex-pasteur, il ne l’a pas désavoué confirmant ses liens qui l’unissent à un homme qui aurait pu enterrer sa candidature. Le sénateur de l’Illinois a réitéré son discours fédérateur, puisant dans sa propre histoire : « Ma femme est une Noire américaine qui porte en elle le sang d’esclaves et d’esclavagistes… Mon père est un Noir du Kenya et ma mère, une Blanche du Kansas. J’ai été éduqué dans les meilleurs établissements américains et j’ai vécu dans un des pays les plus pauvres. »

Au regard des nombreux défis surmontés par les Américains au cours de leur histoire, Barack Obama réaffirme sa foi en l’Amérique, la terre de tous les espoirs. Il propose une Union dépassant les clivages raciaux, reposant sur « les chemins typiquement américains de promotion sociale ». « Cette Union ne sera peut-être jamais parfaite, mais elle a montré, génération après génération, qu'elle pouvait être perfectionnée ».

Extraits (Traduit de l’anglais par JEAN-FRANÇOIS KLEINER – Libération.fr, samedi 22 mars 2008 ) :

«Tout au long de la première année de cette campagne, contrairement à toutes les prédictions inverses, nous avons vu que le peuple américain était avide de ce message d’unité. Malgré la tentation de regarder ma candidature à travers des lunettes purement raciales, nous avons remporté des victoires déterminantes dans des Etats dont les populations sont parmi les plus blanches de ce pays. En Caroline du Sud, où flotte encore le drapeau confédéré, nous avons bâti une puissante coalition d’Africains-Américains et d’Américains blancs.

Cela ne signifie pas que la race n’a pas été un thème de la campagne. A plusieurs reprises, au cours de celle-ci, certains commentateurs m’ont reproché tantôt d’être "trop noir", tantôt de ne l’être "pas assez". Nous avons vu les tensions raciales faire des remous en surface pendant la semaine précédant la primaire de Caroline du Sud. La presse a scruté tous les sondages pour y trouver des preuves de polarisation raciale, non seulement entre Blancs et Noirs, mais même entre Blancs et basanés. Pourtant, c’est seulement pendant ces deux dernières semaines que la question de la race est devenue un argument de division. D’un côté, on a sous-entendu que ma candidature était un exercice de discrimination positive, uniquement fondée sur le désir des libéraux à large vue d’obtenir une réconciliation raciale à bas prix. De l’autre, on a entendu mon ancien pasteur, le révérend Jeremiah Wright, recourir à un langage incendiaire pour exprimer des vues qui non seulement risquent d’agrandir le fossé racial, mais dénigrent ce qu’il y a de grand et de bon dans notre nation, offensant pareillement les Blancs et les Noirs […].»

«La race est une question que, selon moi, notre nation ne peut pas se permettre d’éluder en ce moment. Nous commettrions la même erreur que le révérend Wright dans ses sermons injurieux sur l’Amérique : simplifier, stéréotyper et amplifier les aspects négatifs jusqu’à déformer la réalité […].

Le révérend Wright et les autres Africains-Américains de sa génération […] ont grandi à la charnière des années 50 et 60, à une époque où la ségrégation était encore la loi du pays et les chances systématiquement restreintes. Il ne s’agit pas de se demander combien d’hommes et de femmes ont échoué à cause de la discrimination, mais plutôt combien ont réussi en dépit des probabilités ; combien ont été capables d’ouvrir la voie à ceux qui, comme moi, sont arrivés après eux. Cependant, tous ceux qui ont pu décrocher, au prix d’énormes efforts, un lambeau du rêve américain, ne sauraient faire oublier les autres, qui n’y sont pas parvenus […] - ceux qui ont fini par être vaincus par la discrimination. Ce legs de la défaite a été transmis aux générations suivantes. […] Pour les hommes et les femmes de la génération du révérend Wright, le souvenir de l’humiliation, du doute et de la peur n’a pas été effacé, pas plus que la colère et l’amertume de ces années […].

En fait, une même colère se retrouve dans certains segments de la communauté blanche. Nombreux sont les Blancs, dans la classe ouvrière et la classe moyenne, qui estiment n’avoir pas été particulièrement favorisés par leur race.

Ils ont vécu ce que vivent les immigrés : pour leur part, on ne leur a rien donné, ils ont dû tout arracher de haute lutte […].

Alors, quand on leur dit d’inscrire leurs enfants dans une école à l’autre bout de la ville, quand ils entendent qu’un Africain-Américain a été pistonné pour obtenir un bon boulot ou une place dans une bonne université au nom d’une injustice dont ils ne sont pas personnellement responsables, quand on leur raconte que leur peur de la criminalité en zone urbaine est un préjugé, le ressentiment finit par s’installer […].»

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